Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

19/02/2005

AT&T et MCI : comment deux géants sont morts pour ne pas avoir su gérer les ruptures de leur marché

Un article très intéressant vient d'être publié dans la tribune, écrit par Benoit Sarazin, directeur de FarWind Consulting. Il donne une analyse originale et pertinente de la déconfiture de AT&T et MCI, deux géants américains des Télécommunications, qui ont été absorbés coup sur coup par SBC et Verizon. Il explique que ces compagnies ont été confrontées depuis dix ans à 3 sortes de ruptures dans leur marché : rupture technologique (le réseau Internet supplante le réseau téléphonique classique), rupture du modèle économique (quasi gratuité des communications téléphoniques), rupture de la demande (engouement pour la téléphonie mobile, nouveaux besoins d'accès haut débit). Le plus curieux est qu'elles étaient parfaitement au courant de ces menaces. Par exemple, il y a dix ans au sein d'AT&T, un groupe de visionnaires, le ODD "Opportunity Discovery Department" avait prévenu le comité exécutif d'AT&T de l'arrivée de toutes ces ruptures et de leur impact. Et pourtant, AT&T n'en a pas tenu compte et a systématiquement raté tous les virages stratégiques qu'elle aurait dus prendre pour éviter son déclin.
Voir son article ci-dessous.

Sur le même sujet, n'hésitez pas à lire également un article passionnant qui détaille l'expérience désolante de l'équipe ODD de AT&T écrit par Bernard Buisson sur le blog Innovation Tribune en cliquant ici



La mort de deux géants

C'est un moment de profonde stupeur dans le secteur des télécommunications. Les deux géants AT&T et MCI ont succombé. AT&T s'est éteinte dans les bras de SBC dans une acquisition de 16 milliards de dollars, MCI est tombée dans le giron de Verizon dans une transaction de 6,8 milliards de dollars. AT&T était la sage, MCI était la dissipée. AT&T représentait pour les actionnaires américains le symbole de la stabilité. MCI, sa rivale, est surtout célèbre pour son énorme scandale financier de 2002.

De quoi sont-elles décédées ? Malgré leurs différences, elles sont mortes de la même maladie : elles n'ont pas su gérer les ruptures qui bouleversaient leur marché. Et pourtant elles savaient. Amy Muller et Liisa Välikansas du Strategos Institute racontent comment, il y a dix ans, un groupe de 8 employés d'AT&T, nommé ODD (Opportunity Discovery Department) prévint les dirigeants des ruptures du marché à venir. Ils dénoncèrent l'entêtement des opérateurs de télécommunications à dédaigner l'Internet et à continuer à investir dans des stratégies vouées à l'obsolescence. Pour eux, cette attitude n'avait pas plus de chance de réussir que celle de la marine marchande à voile qui, confrontée à la concurrence des bateaux à vapeur au milieu du 19ème siècle, investissait dans la construction de navires plus rapides. La problématique était complexe et se déclinait en trois dimensions.

La première était une rupture technologique. Le "Réseau Stupide", c'est-à-dire simple et efficace, de l'Internet avait le pouvoir de supplanter le réseau téléphonique "Intelligent", c'est-à-dire sophistiqué, complexe et cher qui constituait le cœur de métier d'AT&T et MCI.

La seconde était la rupture du modèle économique, avec l'apparition de la gratuité. Le prix des communications téléphoniques ne cessait de baisser et menaçait de devenir gratuit, imposant de trouver de nouvelles façons de générer les profits. Une entreprise a trouvé une solution à ce dilemme : Google jouit aujourd'hui d'une excellente profitabilité en fournissant un service de moteur de recherche gratuit qui génère du trafic pour des publicités payantes.

La troisième était la rupture de la demande des clients. D'une part, les utilisateurs de téléphone commençaient à migrer en masse vers la téléphonie mobile. D'autre part, les internautes montraient une insatiable avidité à tirer le maximum de la nouvelle mine d'information infinie et libre que constitue l'Internet, que le média soit du texte, de l'audio ou de la video. Cet enthousiasme a créé le formidable marché de l'accès haut débit d'aujourd'hui où un accès à 8Mb/s pour un usage résidentiel ne surprend plus personne.

Bien que nos 8 visionnaires eussent acquis rapidement une forte notoriété parmi leurs collègues, leurs conclusions dérangèrent vite les membres du comité exécutif. Leur travail fut estimé non productif et le groupe fut dissous. Depuis, AT&T a systématiquement loupé les virages stratégiques qu'elle aurait dus prendre pour renverser son inexorable déclin. En ce qui concerne MCI, son patron Bernard Ebbers était trop occupé par des tactiques à court terme visant à gonfler la capitalisation de sa société pour voir les signes qui annonçaient sa perte.

Bien sûr, forts de notre recul, nous serions injustes de nous moquer de la difficulté qu'ont eue AT&T et MCI à anticiper l'évolution de leur marché. Essayons plutôt d'en tirer les leçons et de comprendre ce qui les a amenées à ne pas voir ce qui nous paraît maintenant évident. Comme l'expliquait Greg Blonder, le chef d' ODD, après avoir quitté AT&T : "Pour l'équipe dirigeante, l'idée que l'Internet puisse éclipser la téléphonie traditionnelle était simplement impensable". En effet, il était difficile de mettre de côté l'acquis gigantesque de connaissances de l'entreprise sur la téléphonie pour imaginer un ordre où l'Internet dicte les règles du marché.

Malheureusement, ces ruptures sont irréversibles : ignorez-les, et elle reviendront vous hanter avec de plus en plus de force. Lorsqu'un internaute a goûté à la facilité d'échanger par courrier électronique, il ne reviendra pas au courrier postal. Lorsqu'un utilisateur a pris l'habitude d'utiliser Spyke pour téléphoner gratuitement par Internet, on ne pourra plus lui faire payer. Lorsque les adolescents voient que tous leurs camarades ont un téléphone portable, leurs parents ne peuvent plus leur demander de se contenter du téléphone fixe de la maison.

En conclusion, la seule solution face à de telles ruptures est de les prendre très au sérieux et de négocier les bons virages le plus tôt possible. Plus nous attendons, plus nous serons, comme AT&T et MCI, réduits à avoir un train de retard et à perdre nos paris. Au moment de leur disparition, espérons que nous saurons tirer un peu de sagesse de leur expérience.

Benoit Sarazin, Directeur du cabinet FarWind Consulting

17:33 Publié dans Prospective | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Prospective

Commentaires

D'ou la problematique fondamentale de l'appropriation apres celle de l'anticipation et de la prospective.
C'est surement moins difficile d'avoir une vision juste du future que de la faire partager

Écrit par : CyouX | 03/03/2005

Les commentaires sont fermés.