23/01/2006
COSMÉTIQUE DE LUXE ET QUÊTE DE L’ÉTERNELLE JEUNESSE
Article élaboré par Esther Huguenel à partir d'un travail de mémoire,
Master Professionnel Marketing et Stratégies de Marque :
« À la recherche de l’éternelle jeunesse… La réponse de la cosmétique de luxe »,
soutenu le 16 novembre 2005 (CELSA, Paris IV-Sorbonne)
Les succès mondiaux du Da Vinci Code et de Harry Potter, ou encore la fascination exercée par la chanteuse Mylène Farmer auprès de ses fans, ont un point commun : l’utilisation massive de symboles ou d’éléments renvoyant à de nombreux mythes et légendes, de l’univers biblique pour les uns, à la sorcellerie ou aux mythes grecs pour les autres.
La magie, le rêve, l’imaginaire, le symbolique : tels sont les mots-clés qui permettent d’entrer en résonance avec le public-consommateur d’aujourd’hui.
D’autres secteurs de la consommation courante s’appuient également sur de telles dimensions : la cosmétique anti-âge de luxe en est un exemple.
En somme, un produit de soin cosmétique n’est qu’un peu de matière visqueuse, de couleur blanche le plus souvent, presque évanescent. Pourtant, ce produit est investi des désirs et des rêves qui traversent l’histoire de l’humanité : désir de beauté, désir de jeunesse, désir d’immortalité ; en deux mots : la beauté éternelle.
Beauté et jeunesse, la nouvelle quête du graal
La beauté aujourd’hui se conçoit de plus en plus comme le résultat d’une conquête possible : hier considérée comme un don divin ou un don de la nature, la beauté pourrait désormais s’acquérir. Et ce d’autant plus que des techniques d’embellissement se banalisent : médecine et chirurgie esthétique, soins cosmétiques… Par un effet d’aller-retour, le fait qu’il existe des outils de gestion de son apparence renforce la conception d’une beauté « constructible ».
Socialement, la femme (cible privilégiée des pratiques de beauté) est responsable individuellement de son apparence. « J’ai décidé d’être belle », titrait récemment une émission de télévision…
La jeunesse, elle, est un critère de beauté prépondérant. La société vieillit mais valorise la jeunesse ; elle lui associe des valeurs positives comme la performance et la réussite, mais aussi la séduction, le potentiel de vie. L’expression « profiter de la vie », ici et maintenant, traduit une nouvelle philosophie opposée à la conception judéo-chrétienne où l’âme, immortelle, survit au corps dans un au-delà meilleur. Le désir d’accomplissement personnel se fait jour de manière plus évidente : la réalisation de soi devient fondamentale. Ce principe de vie, caractéristique de la postmodernité, entraîne le surinvestissement du corps comme repère fondamental de l’identité – c’est le corps qui nous identifie en premier lieu –.
On souhaite se maintenir au présent et gommer les signes physiques qui symbolisent le temps qui passe, comme les rides. L’idée d’une jeunesse conservée le plus longtemps possible supplée au déclin de la croyance en l’immortalité.
Le phénomène toujours actuel du « jeunisme » exprime ce désir de se maintenir au présent, de lutter contre les transformations physiques liées à l’âge et donc de repousser un futur qui ne peut conduire qu’à la mort.
La société renoue ainsi avec le mythe archaïque de l’éternelle jeunesse qui a traversé les époques et les cultures, au travers de nombreux contes, légendes et histoires fantastiques : la nymphe Juventa, transformée par Jupiter en source d’éternelle jeunesse, donne son nom à la Fontaine de Jouvence, censée procurer jeunesse et immortalité à qui s’y plonge ; les vampires sont immortels et ne vieillissent plus ; le portrait de Dorian Gray se modifie au fil du temps alors que le visage du héros reste intact…
Aujourd’hui, le rêve ancestral semble en passe de devenir réalité grâce aux moyens techniques. Les produits de soins cosmétiques dits « anti-âge » veulent désormais prouver qu’ils peuvent être une alternative à la chirurgie et à la médecine esthétique, en moins radical et le plaisir en plus. La référence au mythe de la fontaine de jouvence est utilisée pour qualifier toutes sortes d’élixirs censés apporter jeunesse et vitalité. Mythe et réalité semblent s’allier, faisant écho à l’espoir des consommatrices.
Cosmétique de luxe et références symboliques
Dans le domaine plus spécifique de la cosmétique de luxe, la notion de beauté se fond dans celle du bien-être : les bénéfices sensoriels des produits cosmétiques, l’expérience et le plaisir retirés à l’application du soin, sont de plus en plus valorisés par les marques. L’efficacité du produit, elle, revêt une dimension magique.
La fonctionnalité de la cosmétique anti-âge est sublimée, transformant la contrainte sociale de « faire quelque chose » pour améliorer son apparence en source de plaisir et de liberté, transformant l’utilisation du produit cosmétique en un « moment » de luxe.
Le rapport au luxe a évolué vers une plus grande individualisation : le luxe recherché est davantage personnel, tourné vers les sensations et les émotions. Gilles Lipovetsky a ainsi montré que les nouvelles aspirations du luxe sont de plus en plus individuelles et émotionnelles. La cosmétique de luxe peut répondre à cette quête de plaisir et de satisfaction personnelle : la recherche d’un luxe relié aux sensations, à l’« expérience » d’un moment de luxe, s’accorde bien avec l’univers sensuel et intime de la cosmétique.
Hier, les alchimistes recherchaient le secret de la vie éternelle dans des éléments symboliques comme l’or ou les pierres précieuses. Cette fascination perdure aujourd’hui : les marques sollicitent notre imaginaire en valorisant des actifs issus des « secrets de la nature » comme de « la plus haute technologie ». Les produits mêlent ingrédients à valeur symbolique associés au luxe (tels le caviar ou le diamant pour La Prairie), ou renvoyant au mystère et à l’exotisme (actifs entourés d’une « histoire » soulignant la difficulté de leur extraction ou leur rareté intrinsèque). Certains ingrédients, sans être nécessairement rattachés à l’univers du luxe, symbolisent la jeunesse éternelle : algue mystérieuse évocatrice de la mer nourricière ; champignon oriental correspondant à un important symbole de longévité en Chine où il constitue la nourriture des immortels…
L’esthétique du packaging, en cohérence avec le concept général de la marque, apporte elle aussi une dimension luxueuse au produit, sublimant l’ordinaire d’un simple pot de crème en objet magique.
L’usage du produit cosmétique a une fonction sociale (devoir de « faire quelque chose ») et individuelle (plaisir pour soi, consacrer du temps à son apparence et à son bien-être) ; il répond simultanément à des attentes « concrètes » de résultats et à une quête symbolique de beauté et de jeunesse. Rationnellement envisagé comme un produit d’« entretien » de la peau (effet réel minime, à caractère presque hygiénique), le soin cosmétique anti-âge est aussi considéré comme un produit potentiellement « magique » : il cristallise le désir d’éternelle jeunesse et d’affranchissement des contraintes du temps.
Les marques de cosmétique ne peuvent ignorer ces attentes profondes teintées d’irrationnel des consommatrices et l’influence prépondérante de la part de rêve qu’un soin cosmétique anti-âge suscite.
La cosmétique anti-âge de luxe offre une réponse qui semble réconcilier haute technologie et fantasmes séculaires d’éternelle jeunesse. Les imaginaires de la science, du bien-être ou de la magie ne s’opposent pas mais au contraire s’allient. On peut y lire un désir de réconciliation entre mythes ancestraux et mythes futuristes, une fusion entre le passé et le futur créatrice de présent éternel.
Le soin cosmétique anti-âge entre en correspondance avec ce luxe d’aujourd’hui que représente le Temps, en proposant à la consommatrice de s’affranchir de la contrainte du temps qui s’écoule inexorablement, de réaliser l’impossible.
Cet aspect ésotérique, associé à l’expérience des sens, cette conjonction de valeurs irrationnelles et hédonistes, peuvent être encore davantage exploités par les marques de cosmétique, en particulier de luxe.
Si l’on considère avec Gilbert Durand que « l’imagination symbolique est dynamiquement négation vitale, négation du néant de la mort et du temps »[1], alors les marques, en exploitant le pouvoir du symbole, familier et ésotérique, accessible et inaccessible, peuvent créer une relation, entrer en résonance avec la consommatrice et renforcer ainsi leur attrait.
Quelques références :
AMADIEU (Jean-François). – Le poids des apparences. Beauté, amour et gloire. – Éditions Poches Odile Jacob, 2005. – 199 pages.
CHEVALIER (Jean), GHEERBRANT (Alain). – Dictionnaire des symboles. – Éditions Robert Laffont, 1982. – 1100 pages. (Collection Bouquins).
DURAND (Gilbert). – L’imagination symbolique (1964). – 5ème édition. – Presses Universitaires de France, 2003. – 133 pages. (Collection Quadrige).
LIPOVESTKY (Gilles), ROUX (Elyette). – Le luxe éternel : de l'âge du sacré au temps des marques. – Éditions Gallimard, 2003. – 201 pages
REMAURY (Bruno). – Le beau sexe faible : les images du corps féminin entre cosmétique et santé. – Éditions Grasset, 2000. – 280 pages.
VIGARELLO (Georges). – Histoire de la beauté. Le corps et l’art d’embellir de la Renaissance à nos jours. – Éditions Seuil, 2004. – 337 pages. (Collection L’Univers Historique).
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