Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/11/2008

Comment s’attendre et se préparer à l’inattendu ? - Jacques ARCADE, dirigeant-fondateur de PROAXIS

JA.jpeg

La question des risques stratégiques renvoie à celle tout aussi délicate de l'articulation entre prospective, stratégie et veille. Le défaut d'anticipation du contexte de l'action constitue un risque majeur pour l'entreprise. En effet, aucune intervention ou action ne peut raisonnablement être dissociée de son contexte. Par ailleurs, nul ne peut appréhender le théâtre de son action future, sans être capable de visualiser celui-ci à travers ses différentes facettes, le cas échéant, sous la forme de scénarios exploratoires. Toutefois, la construction de scénarios, quelle qu’en soit la qualité, ne met généralement pas l'entreprise à l'abri d'un mauvais usage stratégique de l'anticipation. Les décideurs s'ingénient en effet à jeter leur dévolu sur un scénario particulier, au lieu d'élaborer des stratégies prenant délibérément en compte la pluralité des avenirs et le caractère irréductible de l'incertitude. L'évolution du contexte de l'action engendre l'apparition de contraintes et d'ambitions nouvelles que le décideur a de plus en plus de difficultés à intégrer et à concilier pour prévenir les risques liés à la restriction des marges de manoeuvre.


15/09/2005

Miser sur l'imprévu : management et leadership du changement émergent


Ce livre (Gualino Editeur) est consacré à la vie cachée des entreprises. Il nous fait prendre conscience de l’omniprésence, de l’importance, mais aussi de la grande richesse de l’imprévu dans leur fonctionnement et leur évolution.

Les entreprises sont, en effet, le siège d’une multitude de phénomènes « émergents » – idées, initiatives locales, projets autonomes, expérimentations diverses – qui échappent aux orientations stratégiques et aux procédures définies par les dirigeants mais qui jouent un rôle crucial dans les processus d’innovation et de renouvellement stratégique.

Ces phénomènes sont d’autant plus nécessaires que, pour toute entreprise, l’innovation et l’adaptation rapide à des conditions toujours changeantes sont devenues des priorités absolues qui rendent problématique une gestion « classique » reposant sur la prévision, la planification et le contrôle. Être ouvert à l’imprévu et être capable d’en tirer parti est maintenant un avantage concurrentiel indéniable.

Véronique Bouchard (ancienne du Boston Consulting Group) et Thierry Picq (ancien de Bossard Consultants) enseignent tous deux à l’EM Lyon. Ils aiment aborder avec pragmatisme et clarté les sujets les plus complexes et s’intéressent aux articulations entre organisation établie et initiative individuelle, changement induit et changement émergent, qu’ils abordent à partir de leur discipline première : la stratégie pour Véronique Bouchard et le management pour Thierry Picq.

 

10/07/2005

Gouvernance ou leadership ? Par Angela Minzoni-Déroche, Conseiller de synthèse*


En 1969, le quinzième - et dernier - cahier de prospective du Centre d’études prospectives attirait notre regard sur la « grande maladie » du futur : l’encombrement. Nous sommes à l’aube de ce qui était le futur en 1969 et, par plusieurs aspects, nous pouvons bien dire que la maladie est déjà là. L’obésité ne nous guette plus, elle est installée non seulement dans les corps mais aussi dans nos esprits. Dans nos organisations dites horizontales ou matricielles où la prise de pouvoir est d’autant plus subtile qu’elle est diversifiée, dans l’accroissement exponentiel des modèles dont la longévité ne dépasse pas celle des roses, la prolifération aussi peu maîtrisée que les vagues meurtrières et la légitimité aussi ténue que les couleurs des peintres impressionnistes, dans les lieux de consommation, etc ….

Il y en a trop, nous en sommes tous d’accord, mais il n’y en a pas encore assez. Cette phrase n’est pas un remède à la maladie de l’encombrement, elle ne fait que faciliter la circulation, elle pose des frontières, elle incite à accepter l’existence de contradictions et la nécessité de les trier. Aussi les concepts de leadership et de gouvernance figurent-ils dans les top five qui, sur le ring des concepts, se livrent un match sournois. Tous les deux sont utilisés en politique, en finance, en organisation, en éducation et recherche, en stratégie, le premier, d’ailleurs, depuis bien plus longtemps que le deuxième…

Si nous tentons de retenir deux définitions, nous pourrions dire que le leadership, le vrai, l’essentiel, est celui qui provient de l’intérieur du visionnaire, issu d’un effort de synthèse de tout ce qu’il a vécu, pensé, ressenti et produit. Issu de la capacité du leader à non seulement connaître ses fantasmes personnels - qui sont certes susceptibles d’être une source d’énergie - mais à les transformer en imagination, force qui dépasse la personne pour être partagée par les individus de son époque. W. Taylor, Coco Chanel ou le mahatma Gandhi en sont quelques exemples.

Puis, il y a le leadership moins essentiel, de surface, banalisé, celui que les marques revendiquent tous les mois, que les chefs de projet s’arrachent tour à tour, que certains managers regrettent d’avoir perdu, qui trouve sa source dans les rapports de force immédiats et capricieux, c’est un leadership opportuniste, où seules les micro - contraintes extérieures guident l’action qui devient agitation. La liste d’exemples, ici, serait trop longue…

En ce qui concerne la gouvernance, c’est un mot qui, tout comme leadership a fait fortune et là aussi, on pourrait déceler deux gouvernances : celle qui incarne une utopie, qui ne s’impose pas par la force militaire ou économique, qui vise le maintien dans la durée de la cohésion, que les experts appellent « gouvernance hétérarchique », multipolaire, où les gouvernés sont, dans les aspects qui les concernent, des co-gouverneurs. L’autre gouvernance est issue d’un constat de crise de la gouvernabilité, de méfiance collective, d’une envie de contrôler, de poser des cadres et des procédures pour endiguer les risques - et les scandales –financiers mais aussi d’ordre moral.

Cette gouvernance-ci, difficile à vivre, n’est qu’une méthode de management parmi tant d’autres, prône l’ordre mondial et envisage sans pâlir l’existence d’un seul grand ordonnateur ; elle bute devant le problème majeur de ne pas réussir à faire la synthèse d’objectifs contradictoires, de ne pas comprendre que la coopération est tout aussi fructueuse, voire davantage, que le compétition. Elle appelle à la rescousse le leadership de l’immédiat pour s’imposer par la force, quelle qu’elle soit. Certains y voient les préludes de la post-démocratie… ne s’agirait-il pas d’un retour à la pré-démocratie, avancées technologiques en prime ?

A la différence du leadership, la gouvernance ne semble s’appliquer pour le moment qu’aux très grands ensembles perçus comme étant ingouvernables vu le nombre de logiques et d’influences contradictoires qui sont à l’œuvre. Quand l’ensemble est devenu trop grand pour les petits problèmes et trop petit pour les grands, on sait que l’heure du passage du gouvernement à la gouvernance vient de sonner. Dans une telle situation, qu’en est-il donc du leadership, pouvons-nous imaginer un quelconque leadership en gouvernance ? oui, peut-être, s’il s’agit d’avoir l’ampleur éthique et intellectuelle pour préfigurer un tel système. Oui, à nouveau, s’il s’agit du leadership venant de l’intérieur : les systèmes à gouvernance ont besoin de ce type de leaders pour l’incarner, mais très peu pourront assumer ce rôle et ils le feront dans la très longue durée, leur légitimité ne sera pas celle issue de la sélection classique. Dans ces deux cas, le match gouvernance -leadership n’aura pas lieu. Par contre, le match sera animé entre la gouvernance de la confiance et le leadership quand il s’agira du leadership de surface, celui de l’immédiat. Ce type de soi - disant leader : marque, entreprise, secteur ou manager s’épuisera à donner des coups avant de tomber, KO, hébété. Il n’aura laissé de place qu’à ses propres fantasmes identitaires, pensant que l’histoire en était arrivée aux relations de fou à fou qui, dans l’échelle du temps, auraient succédé à la relation de fort à fou qui elle même avait succédé à celle de fort à faible, mais il n’en était rien et tel l’aveugle de Breughel, il aura dirigé infailliblement ses compagnons vers la chute finale.

Contact

* Conseiller de synthèse : Inventée par le docteur André Gros en 1947, la fonction de conseil de synthèse a pour vocation d'accompagner les dirigeants d'entreprise dans la recherche d'orientations porteuses d'avenir. En termes de méthode, le conseil de synthèse, au carrefour d'approches éthiques, scientifiques, techniques et organisationnelles, transforme les données pour définir le scénario global adéquat à une situation donnée, en produire le prototype opérationnel et en garantir sa cohérence dans la durée.
Généraliste, le conseil de synthèse se pratique dans des secteurs aussi variés que l'énergie, les transports, la grande distribution, l'aéronautique, l'art, l'éducation…

10/05/2005

"L'intelligence esthétique au service de l'entreprise" par Raphaële Bidault-Waddington



Alors que la notion de création est intrinsèque à l'outil de création de richesses qu'est l'entreprise, les enjeux économiques actuels ont ramené cette notion au premier plan des priorités stratégiques des entreprises. La surenchère actuelle permet, malheureusement, de régulièrement rencontrer ce point-limite de non renouvellement où des entreprises meurent pour n'avoir su trouver un souffle nouveau.

Le processus dynamique de création est devenu un pilier de la survie de l'entreprise à l'heure où les technologies, les réseaux de distribution et d'information, entre autres, se modifient sans cesse, perturbent les zones d'accessibilité, et recomposent perpétuellement le décor dans lequel les entreprises performent.

L'ingénuosité de la création doit donc prendre sens à différents niveaux de l'entreprise : son offre commerciale qu'elle cherchera à différencier, son image à nourrir, ajuster et renouveler, ses flux d'information à optimiser afin de faciliter les processus de décision, sa distribution à adapter selon des vecteurs souples et dynamiques, ses ressources humaines à enrichir, sans parler de sa recherche et de son capital à valoriser. La liste des interrogations en face desquelles se trouve l'entreprise moderne est longue; chaque jour, celle-ci doit savoir recomposer son métier pour anticiper et contribuer à l'élaboration du futur.

Aussi semble-t-il opportun de rappeler que les notions de création et de valorisation ne sont pas des problématiques exclusives des entreprises mais se retrouve dans les travaux de certains artistes actuels au point de voir se développer d'intéressantes collaborations.

L'art actuel, tel qu'il est pratiqué par certains artistes contemporains, constitue une sorte de laboratoire de recherche et développement, formel et conceptuel, de ce que l'on pourra appeler "l'intelligence esthétique", le processus mental par lequel émerge la création d'idées et de pratiques neuves, auxquelles pourra recourrir tout décideur d'entreprise.

Ce type d'échange par lequel se rencontrent le savoir-faire de l'entreprise et la créativité de l'artiste peut aboutir de multiples façons. Il pourra s'agir de consulting, de création de produits spécifiques, de mission de recherche de valorisation de matériaux ou d'application de technologie, la réalisation d'images, le développement de stratégies de communication neuves, comme de sponsoring ou de mécénat. La richesse de ces échanges tiendra à la qualité de la rencontre entre l'entreprise et l'artiste, de leurs pratiques et identités réciproques. Les artistes actuels, comme les entreprises, ont en effet su intégrer à leur pratique les mutliples ingrédients de notre modernité (technologie, multimédia, tendances, mobilité et globalisation, etc.). Ils constituent alors des observateurs autonomes et décalés du temps présent que leur métier de création les amène à questionner et à valoriser.

Si l'artiste fait de l'intelligence esthétique son métier, celle-ci ne lui est cependant pas exclusive. Ce processus mental reste l'un des fondements de l'être humain que chacun pourra choisir de développer. La richesse de l'intelligence esthétique tient à sa capacité à réconcilier des facteurs "théoriques relatifs" (scientifiques, techniques, historiques) avec des facteurs "ressentis" (intuition, organisation, psychologie) et des facteurs "paradoxaux" (inconscient collectif, pouvoir de conviction, dynamique). L'intelligence esthétique tend ainsi à offrir une vision qualitative, subtile et nuancée qui permettra de mettre en lumière des potentiels que l'artiste ou l'entrepreneur pourront choisir de valoriser. Le propre de ce processus est de se jouer à un niveau individuel qui fait que l'on parlera d'une multiplicité d'intelligences esthétiques à l'inverse des théories universelles scientifiques.

Outil de visualisation pour l'entrepreneur ou le décideur, l'intelligence esthétique lui permettra également de formuler un propos identitaire pour lequel il avancera une responsabilité, comme le fait l'artiste par rapport à son travail. A l'heure de l'entreprise citoyenne, l'intelligence esthétique est une clé de voûte dans la construction d'une image substantielle sur laquelle l'entreprise pourra capitaliser au contraire d'une image artificiellement étayée et à l'allure de goufre.

Le monde qui nous entoure change, les territoires deviennent réseaux, les acquis ne résistent au temps que s'ils ouvrent des potentiels, les crédibilités sont volatiles et les flux ne cessent de s'accélèrer; aussi est-il important de savoir renouveler son intelligence.

Raphaële Bidault-Waddington, artiste-conseil, dirige le pôle d'artistes d'E-Mergences.

02/02/2005

Prospective et développement durable : pourquoi tout converge vers l’émergence d’une société « durable »



Pendant 4 milliards d’année, la nature a vécu sans l’homme. Nourrit par cette nature depuis son apparition il y a 15 millions d’années, l’homme est aujourd’hui lui même menacée d’extinction à long terme : la moitié des espèces d’animaux et de plantes – celles là même qui le nourrissent et le soignent - auront disparu d’ici la fin d’ici la fin du XXIème siècle si nos modes de vie poursuivent cette évolution. L’homme est en train de scier la branche sur laquelle il est assis. L’homme s’est aussi désolidarisé de sa propre espèce : 85% de la population mondiale vit aujourd’hui dans un état de pauvreté ou de précarité, et la pauvreté s’accroît au même rythme que la richesse.

Epuisement des ressources, multiplication des crises (climatiques, alimentaires, et sanitaires), exclusion d’une grande partie de l’humanité…les modes de vie qui ont prévalu jusqu’alors nous ont conduit aujourd’hui à l’impasse. Communauté scientifique, économistes, anthropologues, sociologues, philosophes, tous s’accordent à dire qu’il y a crise de notre système. Face à ce constat, une révision totale de nos modes de vie est indispensable et même assez urgente, pour assurer notre qualité de vie à moyen terme, et pour assurer la survie de l’espèce humaine à plus long terme.

Il existe aujourd’hui une réponse globale à ses grands défis : le développement durable.
Le développement durable prône un développement réellement maîtrisé qui prend en compte, au delà des intérêts nationaux ou privés, la défense des générations à venir et la préservation de la vie sur la planète. Comment ? En conciliant les besoins des hommes avec la préservation des équilibres écologiques, sociaux et économiques dans le long terme. Le défi est aujourd’hui de faire appel à une prise de conscience collective à travers la compréhension des enjeux : il s’agit de faire prendre conscience à chacun de l’impact de son mode de vie au quotidien sur la planète, de sa responsabilité vis-à-vis de cette Terre qui l’accueille et le nourrit, du rôle et de la capacité d’action de chacun. Faire prendre conscience que nous sommes tous concernés et responsables de l’avenir du monde.

Changement culturel et comportemental plus que changement technique, le développement durable est un appel à l’innovation, à l’initiative et à l’intelligence à travers la responsabilisation individuelle et collective. Dans la mesure où il doit être en phase avec les besoins sociaux (en plus des besoins économiques et environnementaux), le développement durable implique de faire de la prospective pour prévoir l'émergence de ces nouveaux besoins. De même, une prospective digne de ce nom suppose, par définition, la prise en compte du développement durable : nous savons aujourd'hui que point d'avenir n'est envisageable à moyen terme sans la mise en oeuvre d'un développement durable... Prospective et développement durable sont liés pour le meilleur ! Certains signaux montrent que nous sommes déjà sur la route d’un monde meilleur, grâce à l’émergence – lente mais sure - d’un éveil des consciences.

Les entreprises sont aujourd’hui confrontées de façon tout à fait nouvelle à la société : elles sont interrogées sur les conséquences à court terme, voir à long terme, de leur activité sur l’environnement. Les grandes marques, symboles de la société de consommation, sont remises en question. 75 % des français pensent qu'elles se doivent de soutenir des actions d'intérêt général*. Les investissements consacrés à la publicité doivent aujourd’hui être redirigés vers la Recherche & le Développement, pour que la marque redonne sa place au produit, et ce dans le sens d’une éco-conception qui minimise l’impact du produit sur l’environnement tout au long de son cycle de vie.

La réputation des entreprises représentant aujourd’hui la moitié de leur valeur, les investisseurs s’attachent également à prendre ce nouveau fait en compte. De plus, la rentabilité d’une entreprise à long terme est liée au management éthique de prise en compte des risques environnementaux et sociaux potentiels ; différenciation, consolidation de l’image, capacité de dialogue avec les parties prenantes et qualité de l’information donnent une solidité que n’ont pas les autres entreprises. Si 84 % des actionnaires estiment que le développement durable reste souvent un discours de façade destiné à se donner bonne conscience, 77 % d’entre eux pensent que « la pression des différents acteurs obligera les sociétés cotées à mettre en cohérence leurs discours avec leurs actes » et les 3/4 d’entre eux pensent que le développement durable "transformera en profondeur la façon dont les sociétés cotées se développeront"*.

Accompagnées par la volonté politique des Etats et avec le partenariat des ONG, les entreprises sont aujourd’hui les entités les plus en mesure de faire face aux enjeux environnementaux, économiques et sociaux du développement durable…
…et la sincérité en matière de développement durable est le 2ème critère le plus important dans le choix d’une entreprise pour les étudiants des grandes écoles*… l’avenir est à nous !



Céline Decoster est chargée de mission Tourisme durable et solidaire
.

Pour en savoir plus sur la mise en œuvre du développement durable, dans la vie quotidienne ou en entreprise : Télécharger le Guide Internet du savoir-vivre durable, rédigé par Céline Decoster. Voir cette page.

* Source : TNS Sofres, Sept 2003.


PS : Petite illustration de l’impact de notre vie quotidienne sur la planète.
L’équivalent d’un repas moyen parcourt 3 000 Km (des origines du produit à l’emballage) avant d’être dans notre assiette; de la plantation du coton à la pose de la fermeture éclaire, un jean parcourt quand à lui en moyenne 65 000 km. Or le secteur du transport émet à lui seul ¼ des gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique. Les conséquences du réchauffement climatiques sont aujourd’hui connues : il accentue les phénomènes extrêmes (canicules, tempêtes, cyclones,…), augmente la température de la mer qui menace la faune marine et les coraux en particulier (27% des récifs coralliens ont déjà définitivement disparus dans le monde), et contribue à la fonte des glaces, qui menace la survie des ours polaires et provoque la montée des eaux (2/3 des îles du Pacifique sont concernées par les risques d’immersion dus au réchauffement climatique).

En terme d’exploitation des ressources naturelles, nous avons a dépassé les capacités de la Terre depuis les années 80. Si le monde entier avait le même mode de vie qu’un Européen nous aurions besoin de 3 planètes en terme de ressources naturelles. (5 planètes pour les américains, 7 planètes pour les saoudiens).

29/01/2005

Agir face au changement et à la complexité croissante des choses, par Jean-Pierre Quentin



Pour pouvoir agir face au changement et à la complexité croissante des choses, des situations et des relations, le manager doit "comprendre l'incompréhensible" et "prévoir l'imprévisible". D'où l'engouement actuel pour la prospective, qui aide à comprendre et relier entre elles les multiples composantes de notre environnement actuel et futur. D'où aussi l'importance d'en faire la pédagogie, car plus encore que de renforcer la technicité de la démarche prospective, nous avons besoin d'élargir sa diffusion. Symétriquement, la pédagogie (celle du formateur vers l'apprenant, mais aussi celle du chef vers le subordonné... ou l'inverse) a besoin de s'ouvrir à la prospective, notamment pour élargir son champ (renforcer le "savoir voir"), pour contrer les dérives d'une société de l'information complexe et mouvante (démagogie, désinformation et autres manipulations), ou simplement pour diversifier ses approches : moins de gavage, de spécialisation, de prescriptions ou recettes ; plus de repères, de mise en perspective, d'intelligence(s) - pour plus d'autonomie et de responsabilité.

Le monde change. Ce n'est pas nouveau. Le Moyen Age, la Renaissance ou le Second Empire aussi ont connu d'importantes évolutions, parfois même des révolutions. Mais le changement est de plus en plus "grave" au fil du temps, par la conjonction et l'effet cumulatif de trois facteurs : accélération, dimension et complexité. Accélération : notre capacité d'adaptation est de plus en plus sollicitée par un rythme de changement sans cesse accru (c'était plus facile à 40 Km/h qu'à 180) - et, par contrecoup, certaines résistances au changement sont d'autant plus douloureusement ressenties que, même si elles ne s'accentuent pas, l'écart se creuse entre le freinage et le besoin d'accélération (cf. les archaïsmes de la société française). Dimension : de la télévision au supermarché, la mondialisation se manifeste au quotidien ; les acteurs du jeu socio-économique sont de gigantesques institutions, leurs jeux s'inscrivent dans de vastes systèmes... et l'homme de la rue se sent plus faible et démuni que quand son horizon se limitait à un territoire balisé, où des acteurs identifiés pratiquaient des jeux compréhensibles. Quant à la complexité, inutile d'insister sur ce facteur plus qualitatif, corollaire des deux précédents. Illustration avec la famille Dupondt.

Technologies, marchés, qualifications...
Monsieur Dupondt travaille dans la téléphonie. Au début, ses tâches étaient très stables et "cadrées" comme l'étaient celles de ses prédécesseurs pendant des décennies. Les choses ont brusquement évolué : depuis vingt ans il change d'activité, parfois même de métier, en moyenne tous les deux ou trois ans. Il est loin le temps où il pratiquait l'électromécanique à laquelle il avait été formé ! Au début, ça n'a pas été facile de se convertir à l'électronique, puis à l'informatique... en attendant peut-être les biotechnologies ? En fait, comme pour beaucoup de collègues, la plus grande difficulté était dans sa tête : quand la Direction a annoncé les mutations à venir, malgré de patientes explications, c'est tout un univers de certitudes qui s'effondrait : "ils" sont devenus fous, on est les meilleurs du monde et "ils" vont nous changer tout ça... Avec le recul, tout cela paraît dérisoire : bien sûr qu'il fallait profiter des opportunités technologiques, développer de nouveaux produits, conquérir des marchés, souvent même les inventer. Et "ils" avaient raison : si on n'avait pas pris le tournant, c'est certain qu'on ne serait plus là à fabriquer des matériels obsolètes qui n'intéressent plus personne. M. Dupondt est conscient de sa chance de travailler dans cette entreprise qui a adapté à temps sa production, son management ou son marketing, comme bien d'autres, mais surtout qui a su faire la pédagogie de ces changements, tant en interne qu'auprès de ses clients, fournisseurs et autres partenaires : les évolutions sont annoncées à l'avance, le cap précisé, le parcours balisé ; à tout moment, chacun peut situer sa propre position en référence aux mouvements de l'ensemble.
Il en est d'autant plus conscient que son beau-frère n'a pas eu cette chance. Après leurs études, ils sont entrés dans des firmes concurrentes. Quand le grand chambardement du métier a commencé, Durandt se posait bien des questions à partir de ce qu'il lisait dans la presse ou de ce que lui disait Dupondt, mais son entreprise échappait à la tourmente, à en croire les dirigeants, dont le discours se voulait rassurant à défaut d'être toujours clair ou cohérent.

Dormez, je veille... Dans un premier temps, ils ont joué la continuité : l'entreprise n'est pas concernée par ces changements ; ceux qui passent à l'électronique vont se casser la figure, ce n'est pas notre métier ; nos clients sont fidèles depuis des décennies, etc. Puis il a fallu fermer certaines unités : pas de souci, on va rebondir après quelques licenciements... Finalement, son entreprise l'a jeté quand il n'était plus adapté, alors que celle de son beau-frère avait aidé le personnel à évoluer. Face à une mutation globale (voir encadré), il ne suffit pas de traiter séparément les différents aspects - techniques, économiques, humains ou organisationnels - il faut aussi les relier dans une démarche intégrée et, aspect trop négligé, associer le "corps social". Et le faire dès l'amorce du changement. Là comme ailleurs, la "solution élégante", plus responsable et cohérente, est aussi plus efficace et durable.


Encadré 1. Une mutation globale

ça change... à tous les niveaux :
- Celui des bases matérielles de l'activité
- = la sphère "techno-économique" :
- Celui des personnes, tant individuellement que collectivement
- = la sphère "socio-culturelle" :
- Celui des institutions (Pouvoirs publics, entreprise, associations...),
. tant dans leur structure ou leur organisation (aspect "institutionnel")
. que dans leur fonctionnement ou leur management (aspect "politico"),
. tant en interne que dans leurs relations entre elles ou avec les personnes
- = la sphère "politico-institutionnelle" :


- Tout bouge... partout : au sein des sphères, dans leurs relations...
Mouvements des composants...

Mouvements au sein des sphères...


Mouvements entre sphères...


- Tout se tient...








- Les zones d'intersection s'élargissent,
avec pour corollaire une complexité croissante

- Conclusions...
- Ce qui importe : les mouvements des composants, certes, mais surtout les relations, symbolisées ici par les flèches...
- Or, à l'école, dans l'administration ou dans l'entreprise, quel intérêt leur accorde-t-on ? Comment les analyse-t-on ? Comment sont-elles "gérées" ?...


Organisation, management, initiative, motivation...
Madame Dupondt travaille au Tribunal. Comme dans toute administration, ce qu'elle fait est extrêmement utile, mais elle a souvent le sentiment qu'on pourrait le faire de façon à la fois plus agréable et plus efficiente. Sentiment fondé en partie sur l'observation et le bon sens (par exemple quand, plusieurs fois par jour, elle monte trois étages pour voir son chef ou en descend deux pour faire une photocopie), en partie sur les comparaisons avec le management qui se pratique en entreprise. Sur le premier point, elle a essayé de suggérer des petites améliorations de bon sens, qui ne coûtent rien et rapportent gros - toujours en vain : ce n'est pas si simple, ma petite, vous ne vous rendez pas compte... La cause est entendue, sans jugement : dans un procès, les intéressés ont le droit d'exprimer leur point de vue ; ici, ce serait hors de propos. Quant au management, un espoir est né il y a quelques mois, avant de s'évaporer : Paris avait envoyé des experts pour aider à mieux organiser le travail et donner des moyens supplémentaires. "Ils" ont appelé ça un audit et pour commencer, chacun a été interviewé notamment sur sa façon de travailler ou sur ce qu'il pensait pouvoir améliorer. Ainsi, quand Mme Dupondt a relancé son idée maintes fois rejetée selon laquelle une simple étagère permettrait de voir et trier les dossiers, donc d'organiser l'information et de hiérarchiser son traitement, l'auditeur a été atterré de découvrir que, faute d'organisation élémentaire, on empilait les dossiers, ce qui conduisait à les traiter en fonction de leur position sur la pile...
Tout le monde a vraiment cru à l'audit et joué le jeu. On en attendait beaucoup. Après quelques semaines, toujours aucun retour. La nature ayant horreur du vide, radio-couloir a pris le relais et le mariage de l'ignorance à l'incertitude a engendré l'angoisse et le rejet a priori, catalysés par les "forces de la réaction", souvent plus actives que celles "du progrès" - et d'autant plus efficaces que le propos est imprécis et allusif, crée la confusion par amalgame, substitue la démagogie à la pédagogie : "ils" mettent en cause le sérieux de notre travail, "ils" voudraient nous transformer en entreprise et sacrifier le Service public... Mme Dupondt connaît bien l'entreprise, par son mari mais aussi parce que contrairement à la plupart de ses collègues, elle n'a pas toujours été fonctionnaire. Elle a donc essayé de ramener les esprits à un peu de raison : il ne s'agit pas de critiquer le travail de chacun de nous, mais d'en améliorer l'organisation générale ; il n'est pas question de nous soumettre à la "loi du profit" mais de professionnaliser un peu notre fonctionnement anarchique, avec ce qu'il implique de gâchis colossaux pour la collectivité, d'inconforts ou de frustrations pour nous... Peine perdue, de toute façon la situation avait échappé au contrôle de la hiérarchie. Pourtant, moyennant un zeste de "pédagogie du changement", on aurait pu surfer sur la vague initiale d'enthousiasme et d'espoir ; au contraire, on a verrouillé et renforcé les crispations.
Répartis entre l'enseignement supérieur et le secondaire, les petits Dupondt apprennent consciencieusement leurs programmes, découpés en disciplines bien cloisonnées et mises en scène dans des démarches pédagogiques plus proches du monde de Jules Ferry que des réalités actuelles - vaste sujet qu'on se gardera de développer ici...
Par curiosité et parce qu'ils se sentent concernés, parents et enfants Dupondt s'intéressent à leur environnement tant local que mondial et à ce qui s'y passe. Comme tout le monde, ils ont les actualités télévisées des chaînes nationales comme première source d'information, ou prétendue telle - là encore, on n'épiloguera pas...
A la maison, à l'école, au travail, dans la Cité, le besoin est le même : l'acteur a envie et besoin de comprendre les systèmes dans lesquels il évolue, pour y tenir sa place ; inversement, les systèmes ne peuvent durablement fonctionner sans l'implication des acteurs. On le sait, on le dit... qu'attend-on ?





Encadré 2. Quelle pédagogie, pourquoi, comment ?
Une pédagogie de la complexité et du changement s'impose pour différentes raisons, qui en définissent les contours. Plusieurs conditions doivent être remplies. Elles sont nécessaires, pas toujours suffisantes ; elles sont complémentaires et indissociables : si certaines sont négligées, ça ne peut pas marcher.

1. Changer de paradigme. Etant entrés dans un monde systémique (schéma biologique), arrêtons de raisonner de façon linéaire (schéma mécanique).
2. Elargir le champ. Est-il bien raisonnable de continuer à appréhender le monde d'aujourd'hui à partir de disciplines qui étaient au programme il y a vingt ans ?
3. Décloisonner. Alors que tout se tient, c'est suicidaire d'isoler chaque élément et, circonstance aggravante, d'en confier le traitement à des spécialistes "propriétaires" de leur champ : la philo au prof de philo, le marketing au marketeur, les lois au législateur... Décloisonner également les relations interindividuelles et interculturelles.
4. Analyser en profondeur. Le zapping lié au foisonnement de l'information peut donner le pire (déstructuration, éclatement) ou le meilleur (vision multiforme), selon le degré de maturité et de réflexion du terrain d'accueil.
5. Adopter une vision dynamique. Tout bouge, nous disposons de techniques cinématographiques sophistiquées, mais nous nous obstinons à observer le mouvement sur des photos inanimées...
6. Réconcilier le conceptuel et l'opérationnel. On ne compte plus les brillantes analyses prospectives réalisées depuis vingt ans. Un large consensus existe sur leurs conclusions. Décidons nous enfin à en mettre en œuvre 2 ou 3 % et tout changera !
7. Associer les acteurs. Dans la durée, le changement ne se fait jamais contre les intéressés. Symétriquement, la motivation est le meilleur ressort... et le plus négligé dans la France contemporaine.
8. Travailler ensemble. Dans notre univers complexe, on ne peut réussir que collectivement. Personne ne le conteste plus. Alors pourquoi continuer à tout fonder sur la performance individuelle ?
9. Perdre du temps pour en gagner. En "perdre" un peu aujourd'hui dans des détours pédagogiques, pour en gagner beaucoup demain, notamment en efficacité.
10. Reconstruire l'émotionnel. Deux registres du langage (conceptuel et factuel) ont été privilégiés (mais dissociés). Le troisième (émotionnel), après avoir été étouffé, est réhabilité sous une forme dégradée (émotivité primaire) dans certaines dérives mass-médiatiques. Il est temps de le rétablir sur des bases plus saines.
11. Revaloriser l'imagination, la créativité, la sensibilité, l'intuition et autres caractéristiques "cerveau droit".
12. Donner du sens. No comment.

Membre d'E-Mergences, Jean-Pierre Quentin est consultant, professeur et auteur. Intervenant dans des situations complexes, dans des contextes de changement, il aide à décloisonner les relations et à imaginer le futur.

23/01/2005

Quel manager êtes-vous ? par Marc van Keymeulen



Eclatement économique et financier

La structure économique est en train d'éclater : des mondes économiques de nature différente émergent et devront cohabiter pour le pire et le meilleur. En très gros, la plus grosse part de l'économie de demain relèvera d'une logique artisanale (les nouveaux métiers de la connaissance, de la créativité et de l'intelligence, mais aussi les artisanats et commerces des biens et services "sur-mesure", hyper-personnalisés et de haute qualité et savoir-faire) alors que la logique industrielle de la production et la commercialisation des biens et de services, standards et de masse, deviendra minoritaire et se cantonnera dans des "commodities" et des "low interest products".
De là, éclatement aussi des machineries financières avec, d'une part, la logique industrielle très "capital intensive" qui continuera d'alimenter les circuits bancaires et boursiers devenus marginaux et fonctionnarisés, et, d'autre part, la logique artisanale exclusivement "people intensive" qui échappera quasi totalement à ces circuits : ce sera l'ère annoncée du post-capitalisme (cfr. Peter Drucker : "Post-capitalist society" – Harper Collins : 1993).

Eclatement de la consommation

De nouveaux comportements massifs d'achat et de consommation enclenchent déjà la dislocation des grands groupes agroalimentaires (Unilever, Nestlé, Coca-cola, Danone, etc …) face à de nouvelles exigences éthiques et qualitatives, et l'ébranlement de la grande distribution face au "hard discount" et à la remontée des commerces personnalisés de proximité.
Le consommateur a déjà commencé d'éclater ses comportements d'achat : il achète ses commodities au prix le plus bas (Lidl, Aldi, Trafic, …) et la vraie qualité chez l'artisan. Entre ces deux pôles commerciaux, il n'y aura bientôt plus de place pour le compromis des mammouths de la distribution qui, donc, devront choisir ou disparaître : GB a bien fait de tirer à temps son épingle du jeu, son concept était condamné.
Michel-Edouard Leclerc (PDG du Groupe Leclerc en France) fut fort clair, à Locarn, quant à sa stratégie en la matière : "nous voulons toujours être les meilleurs marchés donc nous serons la soupe populaire de demain".

Eclatement managérial

Ces mouvements de fond n'épargneront ni le management, ni les managers, et les divergences entre les différents types de managers qui existent déjà aujourd'hui, s'exacerberont.
Construisons-en une typologie : il y a d'une part la différence fondamentale entre les managers-entrepreneurs et les managers-salariés ; il y a d'autre part la différence essentielle entre les actionnariats internes (les actionnaires sont les dirigeants), les actionnariats dilués (une nuée de petits actionnaires sans pouvoir réel et donc passive) et les actionnariats puissants (des actionnaires majoritaires forts, en général obnubilés de rentabilité financière à court terme, comme les fonds de pension).

Ceci permet d'établir la typologie ci-dessous :

Manager entrepreneur/ Actionnariat interne : Logique entrepreneuriale PME (risques de paternalisme ou de tyrannie)

Manager entrepreneur/ Actionnariat dilué : Logique entrepreneuriale GE (risques d'abus ou de frustrations financiers) jusqu'à coalition des petits actionnaires qui constitueront, alors, un actionnariat fort (cas ci-dessous)

Manager entrepreneur/ Actionnariat fort : Conflits majeurs inextricables

Manager salarié/ Actionnariat interne : Situation absurde (sauf pour d'éventuelles raisons administratives de couverture sociale)

Manager salarié/ Actionnariat dilué : Risques majeurs de fonctionnarisation ou d'ego-trip, jusqu'à coalition des petits actionnaires qui constitueront, alors, un actionnariat fort (cas ci-dessous)

Manager salarié/ Actionnariat fort : Courroie de transmission soumise


La lecture de cette typologie indique clairement que la large majorité de nos actuels managers est salariée (héritiers, carriéristes, parachutés, pistonnés, apparatchiks ou autres) et est, donc, condamnée à se transformer en courroies de transmission obéissantes et frustrées.

On voit donc, en synthèse, qu'il n'y aura, in fine, que deux types de managers "durables" : le manager-entrepreneur indépendant qui développera un réseau de PME avec ses partenaires directs et actifs (ce sera la structure des grands groupes de demain) et le manager-salarié "courroie de transmission" entièrement soumis à la tyrannie des actionnaires et donc d'une logique financière pure et à court terme.

Des situations intermédiaires pourront, bien sûr, exister, mais jamais dans la durée, tant leur instabilité intrinsèque deviendra de plus en plus grande.
Il est intéressant de constater que la majorité de ceux que la presse appelle aujourd'hui les "grands patrons", sont quasi exclusivement des managers salariés qui n'ont jamais rien entrepris ni géré sur le terrain, et dont les logiques sont soit l'ego-trip (souvent d'une arrogance rare : on se souvient du flagrant cas Mercier chez Universal), soit le fonctionnarisme (soumis mais doré).

Il est curieux, aussi, de constater que le CD édité par la fondation FREE pour promouvoir l'esprit d'entreprise auprès des jeunes en Wallonie, se centre sur des interviews de ces "grands patrons" certes sponsors, mais qui n'ont jamais rien entrepris eux-mêmes et qui n'ont pas la moindre idée du parcours du combattant d'un créateur de PME. Le paradoxe est énorme et la crédibilité nulle : quel jeune de 2004 pourrait aspirer ressembler à Lippens ?

Eclatement des cultures managériales

Les styles de management se démultiplieront et chaque couple entreprise-patron devra inventer celui qui lui conviendra le mieux (il y a des méthodologie pour cela).
Mais, globalement et caricaturalement, on peut déjà distinguer trois styles majeurs :

· Celui du patron-salarié fonctionnaire à la botte des actionnaires dont la seule préoccupation majeure sera de garder sa place et donc sombrera dans une logique de contrôle de gestion et de prise de risque minimale. Son mot-clé est : non ! Il passera sa vie écartelé entre conseil d'administration et conseil d'entreprise, entre logique financière et logique syndicale au sein d'un dualisme marxiste (capital/travail) aussi obsolète que lui.
· Celui du patron-entrepreneur "autocrate" qui sera un bosseur invétéré et fécond jusqu'à ce que le "grosse tête" le rattrape et qu'il n'entre en ego-trip comme on entre en religion : le culte du moi le guette et fragilisera terriblement son œuvre.
· Celui du patron-entrepreneur "réticulant" qui a une âme de pépiniériste et qui cultive avec dextérité et savoir-faire un jardin multiple et coloré d'activités diversifiées mais connexes, centrées autour de ses compétences et talents réels. Contrairement à ses deux confrères, ses valeurs seront celles de ceux que l'on appelle les créatifs culturels (autonomie, écologie, responsabilité, frugalité, qualité de vie, accomplissement de soi, spiritualité et éthique, créativité, etc …)

Bien sûr, chacun de ces trois types pourra (devra) être décliné de mille façons.
Cela fera la richesse et l'intérêt du paysage managérial de demain.
Mais avec lequel de ces patrons souhaiteriez-vous travailler ?
A vous de voir. A vous de choisir. A vous de décider.

Marc van Keymeulen est consultant et fondateur de l'Institut Noétique - - ©Institut Noétique

03/01/2005

"Fabriquer le futur ou laisser l'avenir venir ?" par Eric Seulliet



Que sera, sera
Demain n'est jamais certain
Laissons l'avenir venir
Que sera, sera
What will be, will be








La ritournelle obsédante chantée par Doris Day dans le film de Alfred Hitchcock « l’Homme qui en savait trop » illustre bien une attitude courante face à l’avenir.

La fin des certitudes

Une telle attitude a longtemps été confortée par une foi dans le progrès, même si elle était teintée d’une certaine dose de fatalisme. C’est qu’avant, tout paraissait devoir se dérouler de façon linéaire, sans (trop d’) à-coups. Dans ce contexte, la notion de progrès constituait indéniablement le paradigme dominant. Ce progrès - très techno-centré – était érigé en valeur universelle, supposé pouvoir faire le bonheur de l’Humanité et receler les solutions à ses problèmes.

Mais ne serait-il pas temps de changer maintenant de posture ? Car aujourd’hui, les choses ne sont plus linéaires. Le rythme du monde s’accélérant, tout est beaucoup plus imprévisible et sujet à bifurcations soudaines. La notion de progrès, notamment scientifique et technologique, a évolué jusqu’à être discutée ou tout au moins reconsidérée. Il est significatif que deux philosophes traitent de cette interrogation dans des livres récents[2]. Robert Redeker compare ainsi le progrès, chez les modernes, comme « l'opium de l'histoire ». Il faut dire qu’en débouchant sur une société de consommation qui a perdu tout sens, ce modèle de la société moderne a montré ses limites.


Le pouvoir de l'imaginaire

C'est ainsi que Victor Scardigli, spécialiste de l’innovation constatant dans un livre qui vient de paraître [1] que « La vie est un dosage subtil de liens et de ruptures » prône en conséquence l'abandon des certitudes du passé, le recours à l'imagination créatrice et la prise de risques.

Ecoutons à ce propose ce que dit Edouard Glissant, écrivain caraïbe[3] : « Nous vivons dans un bouleversement perpé
tuel où les civilisations s’entrecroisent, des pans entiers de culture basculent et s’entremêlent, où ceux qui s’effraient du métissage deviennent extrémistes. C’est ce que j’appelle le chaos-monde. On ne peut pas agir sur le moment d’avant pour obtenir le moment d’après. Les certitudes du rationalisme n’opèrent plus, la pensée dialectique a échoué, le pragmatisme ne suffit plus, les vieilles pensées de systèmes ne peuvent comprendre ce monde. Je crois que seules des pensées incertaines de leur puissance, des pensées du tremblement où jouent la peur, l’irrésolu, la crainte, le doute, saisissent mieux les bouleversements en cours. Des pensées métisses, des pensées créoles ».


De nouvelles voies pour innover et inventer demain

Que cela signifie-t-il pour les entreprises et leurs relations aux consommateurs ? Comment peuvent-elles innover mieux et plus vite ?

Co-créer avec les consommateurs, les remettre au cœur des préoccupations, être à l’écoute de leurs rêves et des imaginaires, s'intéresser sincèrement à eux, pratiquer l’empathie et la reliance. Telles sont les principales pistes qui semblent les plus prometteuses pour créer les produits et services de demain. Et ce faisant pour contribuer à changer le monde.

Certaines entreprises avancées explorent ces nouvelles voies de la prospective et de l'innovation, en s'éloignant du simple suivi des "tendances" constituant l'air du temps.

Après avoir conduit une vaste enquête sur ce thème, nous relatons cela dans un livre à paraître ce mois-ci : "Fabriquer le futur - l'imaginaire au service de l'innovation".




[1] « Le consommateur au cœur de l’innovation », livre collectif sous la direction de Jean Caelen, CNRS Editions, 2004.

[2] « Le Progrès ou l'opium de l'histoire » de Robert Redecker (Pleins Feux), 2004 et « Le sens du progrès » de Pierre-André Targuieff (Flammarion), 2004.

[3] Extrait d’une interview par Frédéric Joignot parue dans « Le Monde 2 », daté du 31 décembre 2004

29/12/2004

Eclatement du monde par Marc van Keymeulen



Notre monde bascule massivement dans le nouveau paradigme noétique : l'économie de la connaissance et de l'intelligence, couplée avec l'émergence des métiers et des valeurs de l'immatériel, provoque un séisme de fond qui n'épargnera aucune certitude, aucun fondement.
De nouveaux territoires, immatériels et interstitiels, s'ouvrent qu'il faudra défricher à l'instar des moines européens entre IVème et Xème siècles dès après l'effondrement du monolithe romain.

Le monde qui vient sera multiple, hétérogène, morcelé, éclaté et verra la coexistence d'une multitude de mondes humains autonomes : une mosaïque de communautés, de tribus, de castes, de modèles économiques, de choix culturels et spirituels, de valeurs éthiques et comportementales qui induira une nouvelle féodalité au-delà ou en face des Etats moribonds. Cette féodalité nouvelle et immatérielle, avec ses guerres, ses suzerainetés, ses vassalités, ses allégeances et ses alliances, est déjà en route, aux marches de l'Empire qui se meurt.

On verra la fin de tous les pouvoirs globaux mais aussi l'émergence forte de nouvelles valeurs globales qui induiront une régulation naturelle de ces mondes, chaotiques en apparence, et qui signeront la mort du politique au profit de codes pragmatiques (ne l'oublions jamais : les valeurs morales ne sont pas des "idéaux" absolus, mais seulement des repères de moindre mal, de moindre conflit, de moindre souffrance).

Ce sera, plus généralement, la fin de tous les concepts et processus uniformisants comme égalité, citoyenneté, humanité (l'Homme, avec un grand H), laïcité, services publics, fonction publique, démocratie, droits de l'homme, légalisme, droit naturel, morale absolue, pensée unique, etc …
Le monde humain redevient viscéralement multiple et recréera ses propres bio-, ethno- et noo-diversités après des siècles d'uniformisation stérilisante, après des siècles d'occidentalisme chrétien et rationaliste.

J'en voudrais développer ici un aspect seulement, propre aux sphères économiques …

*

La valeur économique d'un objet matériel dépend de sa rareté et du besoin que l'on en a. L'économie matérielle est fondée sur le principe de rareté (cfr. "L'économique" de Paul Samuelson - Dunod).
Par contre, une idée ne prend valeur économique que lorsqu'elle est partagée au point de devenir norme ou évidence. De plus, la vitesse de propagation d'une idée croît avec sa gratuité (cfr. les vitesses de diffusion relative des CD et DVD selon les circuits commerciaux payants et selon les circuits de copiage gratuit ou semi-gratuit). Partage et gratuité sont paradoxalement au centre de la problématique économique des métiers de l'immatériel.

Ceci posé, on peut voir que le champ économique éclatera en quatre grands ensembles qui cohabiteront sans du tout partager les mêmes logiques commerciales, humaines, managériales et financières.

D'abord les deux secteurs les mieux connus : le monde agricole, largement inféodé aux quotas et subventions européennes des PAC successifs, et qui survit tant bien que mal ; et ce monde industriel lourd que sont les industries matérielles classiques où délocalisations et fusions sont le lot quotidien en toute bonne logique : celle des économies d'échelle et des compressions de charges. Ces deux mondes sont les plus anciens mais fonctionnent déjà, entre eux, selon des logiques très divergentes.

Ensuite vient un monde économique rarement identifié tel quel : l'industrie informationnelle lourde (donc déjà immatérielle) : ce sont les banques, les assurances, le commerce de grande distribution, les administrations, la presse et les loisirs de masse, les organismes sociaux, les syndicats, les fédérations, etc … Tous travaillent quasi exclusivement de l'information mais sans beaucoup d'intelligence et de créativité : ce sont des industries, donc des processus largement procéduralisés, des bureaucraties publiques ou privées, des structures lourdes et rigides, des "usines" à employer des employés (étymologiquement : "plié dedans", tout un symbole), et à faire fonctionner des fonctionnaires (je ne vois pratiquement aucune différence entre fonctionnaire public, si souvent moqué à juste titre, et fonctionnaire bancaire, si injustement épargné par des sarcasmes pourtant légitimes).
Trop souvent, tous ces métiers sont amalgamés avec d'autres sous l'étiquette fallacieuse de "services" ou de "tertiaire".

Enfin, un monde économique nouveau émerge, procédant de logiques post-industrielles et post-capitalistes (ce qui ne signifie nullement qu'il ne puisse être hautement lucratif) : ce sont tous ces métiers, cantonnés par nature dans les PME voire souvent des TPE, qui envahissent les nouveaux territoires de l'expertise et de la créativité individuelles. Il s'agit de ce nouvel artisanat, construit sur l'intelligence des têtes et/ou celle des mains, qui fait exploser l'uniformité et l'uniformisation industrielles. Antithèse des économies d'échelle et des bas prix, il travaille dans le "bel ouvrage" et la personnalisation au juste prix, sans souci de croissance, de taille, de pouvoir ou de puissance. Il n'a pas besoin de capitalisation (l'intelligence et le savoir-faire de ses talents lui suffit) et les circuits classiques de la finance bancaire et boursière lui sont étrangers. Ce monde-là sera le monde dominant de l'économie dans moins de 20 ans. On y retrouve déjà, pêle-mêle le concepteur de software, le consultant, le prospectiviste, le boulanger artisanal, l'aubergiste de charme, l'épicier maraîcher, l'épicerie fine ou exotique, le boucher spécialisé, le volailler haut de gamme ou son homologue fromager, le décorateur d'intérieur, les designers, le créatif publicitaire, le vigneron propriétaire, tous les artistes authentiques, le chercheur scientifique, le concepteur graphique, l'inventeur de tous poils, l'expert technique, le manager par intérim ou de crise, le formateur de bon niveau, etc …

Ces quatre mondes cohabitent déjà et continueront de cohabiter. Mais il faut être très attentif à deux choses.
Ils ne procèdent pas selon les mêmes logiques économiques : les agriculteurs et les artisans cognitifs fonctionnent à la passion et la frugalité leur sied tant que leur autonomie est préservée, alors que les industriels tant matériels qu'informationnels fonctionnent à la puissance et leurs appétits sont insatiables. Ces deux logiques, en pratique au moins, s'excluent mutuellement.
L'autre point d'attention est ceci : jusqu'en 1973, la logique industrielle était la seule référence en matière économique. Tout le discours managérial classique y était forgé sous le marteau des principes d'échelle, de concurrence, de leadership, de conquête et de profit. Ce qui change, c'est que les "artisans" de naguère étaient souvent marginaux et considérés comme incultes (chacun espérait bien que ses enfants feraient des "études" et ne deviendraient pas des "manuels"). Ce qui change, c'est que les artisans de demain formeront l'élite intellectuelle et culturelle de la société (comme l'étaient et le sont toujours les Compagnons du tour de France dans la sphère "manuelle") et que, comble de cuistrerie, ils constitueront le fer de lance et le moteur central de toute l'économie. Les produits industriels deviendront tous, peu à peu, des "commodities", des "low interest products". Déjà aujourd'hui, ce qui intéresse l'acheteur d'une automobile, ce n'est plus ni le moteur ni la mécanique, mais le génie d'un designer presque toujours indépendant du constructeur.

Ce qui change donc, c'est le poids d'emploi qu'ils représentent et représenteront. La tableau ci-dessous résume le discours pour l'ensemble européen (en pourcentage de la population active) :

-------- -------------------2000 ------2015
Agriculture-----------------------3 -----2
Industrie matérielle------------40 -----20
Industrie informationnelle------42 -----33
Artisanat cognitif------ ----------5 -----30
Improductifs--------------------10 -----15

Cette caricature chiffrée suffit à prédire de fameux cataclysmes sociaux car les inévitables dégraissages massifs dans les secteurs industriels (matériel et informationnel) ne pourront percoler vers les artisanats cognitifs que moyennant une immense métamorphose idéologique et comportementale : là, en effet, plus question de contrat d'emploi, de salaire garanti, de sécurité d'emploi, de syndicat, de 35 heures, de pré-retraites, etc … ; là, il n'y a plus que des indépendants, des associés actifs, des partenaires sous condition d'obligation de résultat, qui se prennent eux-mêmes en charge et assument eux-mêmes leur responsabilité.
Ceci signera la fin massive de l'assistanat sécuritaire qui gangrène depuis des décennies nos économies européennes.

Marc van Keymeulen est consultant et fondateur de l'Institut Noétique - ©Marc van Keymeulen - ©Institut Noétique

07/12/2004

"La prospective pour mettre en perspective" par Jean-Pierre Quentin

jpq_0112_85x117s.3.jpg


La prospective ne consiste pas à prédire l'avenir, contrairement à ce qu'on croit souvent. Une de ses fonctions est de le préparer, mais pas à l'aide d'une boule de cristal ni en regardant l'avenir dans le rétroviseur. Elle vise à mettre en perspective pour donner du sens, dans une démarche consistant à appréhender :
les multiples composantes d'une question complexe,
les relations entre ces divers éléments,
dans une perspective dynamique qui va d'hier à aujourd'hui, puis demain,
en référence à notre situation propre : nos intentions, nos possibilités d'action, nos choix.

Il y a donc une forte conjonction entre la vision prospective (compréhension de l'environnement actuel et futur) et la vision stratégique (analyse et choix de notre place dans cet environnement, cadrage des conséquences à en tirer).

Si la prévision regarde le passé pour en déduire un avenir en continuité, la prospective construit de nouvelles références, sachant que demain sera différent d'hier et qu'un "autre regard" sur aujourd'hui nous éclaire sur les ruptures, sur ce qui a changé et sur ce qui peut changer. Car le monde n'est pas prédéterminé, mais comporte une pluralité d'avenirs : à nous de choisir.

Une vision prospective relie des éléments trop souvent envisagés séparément, qu'il s'agisse d'horizons de temps, de domaines de connaissance, d'applications pratiques... ou plus fondamentalement encore de paradigmes (références conceptuelles) et de tous repères qu'utilisent l'observation, l'analyse, l'intuition, l'émotion.

Finalement, la prospective travaille avant tout sur des problématiques : des questions auxquelles on pourrait répondre si elles étaient posées autrement. C'est pourquoi on peut la considérer comme "l'art du diagnostic clinique", consistant, comme le disait déjà Gaston Berger, à voir loin, large, profond, autrement, ensemble...

approche-prospective_4s.2.gif


Notre monde à la fois complexe et mouvant a donc particulièrement besoin de l'approche prospective. D'autant plus besoin que les apports des spécialistes sont devenus hyper-pointus : la mise en perspective de ces apports est à la fois plus difficile et plus nécessaire. Mais, alors qu'on a besoin qu'elle se diffuse largement dans un corps social qui ne peut se satisfaire d'approches mass-médiatiques de la complexité, trop réductrices et déformantes, la prospective doit se garder d'une tendance qui l'éloignerait de ses finalités : à trop cultiver sa dimension technique, en négligeant sa responsabilité pédagogique, elle pourrait à son tour devenir une affaire de spécialiste, donc se couper de l'action, alors qu'elle a vocation à l'éclairer...

Jean-Pierre Quentin est consultant, professeur et auteur. Intervenant dans des situations complexes, dans des contextes de changement, il aide à décloisonner les relations et à imaginer le futur.

Texte rédigé pour le journal TI Voir l'article complet

03/12/2004

"Chaque jour son signal de prospective" par Philippe Cahen

philippe_cahen.3.jpg


Un ministre de 49 ans (qui s’affirme catholique) cède la place à deux ministres de 40 et 44 ans (celui-ci père de 8 enfants et catholique pratiquant). Un président fête ses 72 ans et se demande s’il ne va pas demander un troisième mandat de 4 ans dans 2 ans …
Ce mois de novembre 2004 est bien représentatif de la France qui se profile dans les années à venir - accessoirement en retard sur ses voisins européens - : un vieillissement – et une féminisation du vieillissement - de la population nationale, un rajeunissement brutal de la population active, une réaffirmation de la religion et/ou de la religiosité. Si l’on ajoute à cela une minorité visible de moins en moins minoritaire et de plus en plus visible, et une France de moins en moins urbaine et de plus en plus néorurale et l’on a le portrait résumé de la France des années 2007 à 2012.
Cela donne immédiatement une image de la France où ce qui se décide ou se crée aujourd’hui n’est pas nécessairement dans l’optique de cette mutation. Et que des pans entiers de développement sont laissés de côté.
Or lorsqu’un industriel demande de créer un produit aujourd’hui, c’est pour cette France-là qu’il le crée et non pour celle d’aujourd’hui.
Il ne crée pas pour les tendances en cours extrapolées pour les mois à venir mais pour la prospective immédiate, la prospective du présent, une prospective construite sur des hypothèses à 5/7 ans. Celle qui ose la rupture avec le présent. Car on n’a jamais vu le présent immédiat être la suite du passé immédiat.

Prospective n’est pas tendance.

L’entreprise éprouve l’urgente nécessité d’être la première sur son marché et non la suiveuse du convenable. Le consommateur préfère l’audace qui se remarque au suiveur qui prétend créer et encombre les linéaires. L’innovation a très mauvaise presse lorsqu’elle n’est ni visible ni compréhensible, voire mensongère. Lutter contre l’obésité en diminuant les sucres et augmentant les graisses n’est pas une innovation, c’est un danger pour la marque. Dans le brouhaha de la communication le consommateur a besoin d’être reconnu, le produit audacieux et utile est un plus pour la marque.
Notre métier – ‘prospectiviste’ à défaut d’un mot plus précis - est donc là : tracer la sociologie, la psychologie, l’urbanisme, le commerce, l’environnement, le politique, les technologies, les influences internationales …. de demain pour créer le produit … de demain. C’est dans la synthèse de ces informations, dans le jeu de quilles permanent des idées se frottant l’une à l’autre que se trouvent les pistes innovantes de demain et non dans la spécialisation à outrance. Et chaque jour porte son lot d’informations, analyses, études, réflexions … complémentaires.

Prospective et perspective.

Favilla dans les Echos du 19 novembre, se fondant sur une analyse des élections américaines, écrivait que Weber reprend vie contre Marx, que les facteurs religieux et culturels l’emportent parfois sur les facteurs sociaux économiques. Or nos études sont marxistes (au sens du panel !) et non wéberistes … et ont donc une logique de CSP ou de données sociodémographiques et non de culture ou de religosité à deéfaut de religion interdit par la loi française : avec un angle de vue différent, une perspective différente, notre regard peut changer et favoriser la prospective.
Autre exemple : les hypermarchés ne parlent que de prix, de guerre des prix. Pour avoir assisté à des conférences de Michel-Edouard Leclerc, président des magasins éponymes, et de Michel Bernard, directeur général de Carrefour, j’ai pu le constater chaque fois pendant 2 heures. Or si l’on parle de guerre du temps – ce dont tout le monde convient qu’il est le point central -, toute la perspective change ! Personne n’a dit le contraire que le temps c’est de l’argent … sauf semble-t-il les patrons de ces 2 groupes.
Dans les années proches, les valeurs de nos contemporains vont très sensiblement évoluer. Or ces valeurs sont perceptibles dès aujourd’hui. Ce sont sur ces valeurs qu’il faut construire la prospective de demain.

Comme un veilleur attentif aux bruissements du futur.

Le marketing de l’entreprise est noyé dans son quotidien, les objectifs à réaliser étouffent la direction générale, le marché est rendu encore plus fébriles par la rapidité de l’information issue des nouvelles technologies. Il faut assurer l’immédiat pour que le court terme soit atteint. L’équipe a « le nez dans le guidon ».
C’est au prospectiviste d’injecter le recul. Il apporte à l’entre prises des bruits faibles, des lucioles, des vibrations sur lesquelles elle va réagir, vibrer, faire créer, accaparer le produit de demain. L’entreprise se doit de développer une structure d’oreille, de nez, de langue, de toucher qui doit prendre le temps avec sa culture propre d’écouter le futur proche.
Le prospectiviste est une assistance à la création pour demain, comme un veilleur attentif aux bruissements du futur.


Philippe Cahen, membre de l'équipe d'E-Mergences, consultant en prospective est aussi spécialiste en stratégie de marque et innovation.

01/11/2004

"La prospective comme outil d’apprentissage ?" par Brigitte Thieck

bt.jpg

La prospective : un questionnement rendu nécessaire ou une résurgence opportune ?
Mais d’où vient la prospective ?

Le terme de prospective vient de prospicere, verbe latin qui signifie, regarder au loin ou regarder de loin, discerner quelque chose devant soi. Employé au XVI siècle ; il a été réintroduit par Gaston BERGER en 1957.
La prospective consiste à « voir large, loin et profond … mais aussi autrement et ensemble », Gaston BERGER (1964). En se positionnant sur un horizon de long terme, la prospective vient enrichir et compléter la vision stratégique qui intervient à court et moyen terme et sur un environnement plus restreint.

La prospective qu’est ce que c’est ?
C’est un mode de questionnement rigoureux du futur qui a un double objectif :
- Réduire l’incertitude (tout en n’apportant aucune certitude…) et permettre à celui qui s’y prête de devenir ainsi « pro-actif » de son avenir (agir dans le sens du futur désiré). Mais il s’agit avant tout un état d’esprit, un état de veille permanent, un regard sur la vie et sur le monde. Pierre MASSE parle de « anti-hasard », Hugues de JOUVENEL d’un «combat pour l’anti-fatalité». Pour Michel GODET, c’est « une philosophie de l’action qui utilise le désir comme force productrice d’avenir et permet de regarder le présent à la lumière des futurs possibles ». L’anticipation de la prospective va permettre d’éclairer les différents choix et d’opter pour ceux qui vont nous permettre d’atteindre les objectifs que l’on s’est fixés. C’est donc en changeant la vision que l’on a de l’avenir que l’on influe sur l’action présente.

La prospective pour quoi faire ?
La prospective peut être utilisée de différentes manières :
- Comme outil d’aide à la décision, quand l’avenir d’une entreprise, d’une organisation anticipe ou subit une crise structurelle profonde et/ou que son avenir parait particulièrement incertain. Comme le souligne MARTINET (1983), « Dès lors que l’Environnement et le temps sont considérés comme des variables, les scénarios de la prospective viennent nécessairement s’intégrer dans la réflexion stratégique de l’entreprise ».
- Comme outil d’aide à l’innovation pour le développement de produits ou services nouveaux afin d’acquérir, d’accroître ou de garder une longueur d’avance sur ses concurrents.
- Comme outil d’apprentissage individuel et collectif au service des entreprises et des organisations.
Cet usage, moins connu et moins répandu que les précédents commence à investir le champ de la recherche appliquée en prospective.
Faire de la prospective n’est pas un exercice anodin ou ordinaire. Cette expérience à la fois individuelle et collective va directement impacter la représentation du système étudié (ce système peut être par exemple une entreprise dans un secteur d’activité faisant lui-même partie d’un contexte socio-économique plus global : la France, l’Europe ou le reste du Monde...). Ce système va être analysé de manière dynamique. L’analyse rétrospective de son passé va nous indiquer les tendances lourdes, les inerties, les ruptures ; l’analyse des tendances actuelles du présent va nous renseigner sur les germes de changements (peu significatifs aujourd’hui mais porteurs de changements considérables demain), les inflexions ou les poursuites des tendances, les zones d’incertitude majeure …L’ensemble de cet enseignement va nous permettre de définir des hypothèses alternatives pour le futur à l’horizon étudié.
C’est en ce sens que la prospective appliquée peut contribuer à façonner, voire influer sur les schémas de pensées qu’un groupe d’individus peut se faire d’une organisation et de ses objectifs.
On peut alors aller jusqu’à parler « d’entreprises ou d’organisations apprenantes », et on est alors tenté de parler de ce concept si souvent utilisé « d’apprentissage organisationnel ».Celui-ci vient s’appuyer sur celui de « Gestion des connaissances » (Knowledge Management, …).

Se pose alors la question de savoir si l’on peut orienter volontairement des exercices de prospective afin que l’ensemble des participants changent leurs schémas cognitifs vers des représentations plus conformes aux exigences de l’entreprise en terme de performance globale ou spécifique ?
Mais avant tout cela, nous allons essayer de comprendre par quels mécanismes les exercices de prospective participative influent sur les modes de représentation des participants et nous verrons que ces moyens, ces astuces de management de groupe ont été empruntés par les « prospecteurs » à d’autres outils déjà existants.
L’art du prospectiviste va surtout consister dans un premier temps à rendre agréable et jovial un exercice délicat et peu facile de remise en cause individuel et collectif des « à priori », des idées reçues, des conformismes de pensées dont nous souffrons tous et qui trouvent leurs origines dans notre passé directement impacté par notre expérience de la vie (éducation, milieu socioculturel, expérience professionnel, évènements personnels, …). Cet exercice de remise en cause d’abord individuel puis collectif est le préalable indispensable à la définition d’un langage commun, l’éclairage sur ce qui peut advenir et la construction consensuelle d’un avenir.
Afin de structurer et de hiérarchiser une vision commune, l’animateur va alterner différents outils de management d’équipe (réflexion individuelle suivie de prises de parole, système d’agrégation des données et de hiérarchisation par des votes, entretiens semi directifs, …). La fréquence avec laquelle il va utiliser ces séquences individuelles et collectives, va définir le rythme et la qualité du processus d’apprentissage du cercle de prospective.
C’est tout au long de ces alternances, perçues comme des expériences nouvelles par les participants, que se produit dans la tête de ceux qui y participent et de manière inconsciente au début, les chocs à la fois « frontaux et durables » qui impactent leurs schémas cognitifs. Les échanges sociaux qui ont lieu et les liens qui en découlent constituent le ciment de la cohésion du groupe). Ces changements de représentation peuvent être évalués ou mesurés de manière qualitative, inductive et longitudinale par le remplissage de questionnaires ou la réalisation de cartes cognitives à différentes étapes du processus.
« La diversité des grilles de lecture proposées par la prospective, tant en termes de scénarios que d’options stratégiques, ainsi que les remises en cause qu’elles suscitent, posent le problème des luttes de pouvoir qu’elles peuvent révéler et des résistances qu’elles peuvent susciter » (LEBAN, 1992).
La structure du cercle de prospective (basé de préférence sur le volontariat) et ses propriétés globales vont directement impacter sur les comportements individuels (processus d’exteriorisation), les intéractions (directes et indirectes) et les réseaux d’influence à l’intérieur du groupe.Elle va aussi agir sur la légitimité des contributions individuelles, le statut et la fiabilité de la source d’influence, la nature et le traitement des conflits et la construction de la ou des visions convergentes.
« Dans le cadre d'un exercice de prospective, il ne s'agit cependant pas seulement d'expliciter les cartes cognitives des décideurs mais de construire des représentations collectives " (Fabrice ROUBELAT). Il est donc indispensable ne pas limiter les membres de l’atelier de prospective aux membres du comité de direction et d’insister sur l’importance d’un regard extérieur neuf dans l’animation et la construction des ateliers. Cela contribue également à la créativité, à l'enrichissement réciproque à limiter l ‘introduction de biais grâce aux échanges de points de vue et d'expériences différentes.
Les expériences déjà réalisées en entreprises sont aujourd’hui suffisamment nombreuses et riches d’enseignement pour pouvoir se livrer à des exercices rétro-prospectifs qui nous renseignent sur la manière dont ces changements cognitifs ont impacté dans le temps à la fois les dirigeants qui s’y sont prêtés et les organisations à travers la traduction des décisions en pratiques de gestion quotidiennes.

Brigitte THIECK est Ingénieur Conseil pour l’entreprise ECOETHIC spécialisée dans la réalisation d’études prospectives et stratégiques pour les entreprises et les coopératives agricoles. Egalement Chercheur au C.N.A.M à la Chaire de prospective industrielle, elle travaille sur l’apport des outils de la Prospective appliqués à l’appropriation des contraintes émergentes par les cadres dirigeants.

01/10/2004

"Polyglotte ou volapük ?" par Jean-Pierre Quentin

jpq_0112_85x117s.2.jpg

Une condition de l'innovation : l'ouverture interculturelle. Comment l'aborder ?

L'interculturel, ce n'est pas simplement l'international. On le rencontre au quotidien et il prolifère, dans un univers différencié où tout est rencontres, transactions, brassages. Le polyglotte s'adapte aux langages de ses interlocuteurs ; à l'opposé, beaucoup parlent volapük - langage simplifié mais unique, en principe commun. Un équilibre est à trouver entre ces approches extrêmes.

Melting-pot multilingue, bébés Maginot ou bouillie espéranto ?

Quelques polyglottes sont à l'aise sous les lambris d'un ministère, face à la télévision, dans une cour de ferme, au cœur d'une négociation multilatérale, en tête d'une manifestation, dans un bras de fer en anglais texan, voire dans une cellule de prison... mais n'est pas José Bové qui veut !

D'autres, plus nombreux - avec quelle efficacité ? - préfèrent le langage unique, qui à l'extrême se résume en "je me comprends, donc ils me comprennent". Ensuite les choses sont déroutantes, incompréhensibles, imprévisibles, donc on stresse. On pourrait chercher à comprendre, mais le réflexe est plutôt d'accuser les autres, l'époque ou la fatalité. Traduction : se protéger, se replier, se fermer. Face à "une majorité d'étrangers", il faudrait organiser un faisceau de relations à base d'ouverture, d'écoute, d'échange, de partage, de productions communes. Mais il est plus "naturel" d'édifier quelques Lignes Maginot. Rappelons que face aux panzers, la méthode Maginot a été encore moins efficace que la méthode Ogino face aux spermatozoïdes !

Quand la peur du différent l'emporte sur l'attrait du complémentaire, "qui se ressemble s'assemble". Pourtant, ceux qui ont connecté divers appareils savent que ça marche plutôt mieux en reliant mâle et femelle qu'en essayant d'assembler entre elles des fiches identiques : indépendamment de toute considération éthique ou esthétique, l'association d'éléments complémentaires apparaît plus fructueuse. Sinon, on devra reproduire l'espèce par clonage... en renonçant à l'améliorer. Il en va de même dans l'univers économique et social.

Un autre langage unique réduit tout aux aspects les plus simples ou visibles. Comme l'espéranto, le langage est abrégé à l'extrême pour que tous se comprennent sur quelques notions élémentaires. Malheureusement, c'est justement sur les aspects plus complexes qu'on a besoin d'échanger ! Donc d'écouter, de proposer, de composer... Forme la plus courante de cette bouillie de cultures : "on s'en tient aux faits", on se polarise sur les aspects techniques qui, eux, n'ont pas d'états d'âme ! Puis on s'étonne que les autres ne comprennent rien et ne nous suivent pas...

Chocs de cultures

Il faut donc non seulement faire preuve d'empathie, se projeter dans la peau des interlocuteurs, mais le faire en changeant de culture ou de logique de référence. A Bruxelles, un Grec doit "penser comme un Danois" et réciproquement. Tout lobbyiste raisonne en référence aux diverses logiques techniques, managériales ou politiques de nombreuses parties prenantes. Autres chocs de cultures : le directeur d'usine face à un élu, le financier face à un militant associatif, le commercial face à un technicien, le macho face à une femme, etc.

L'interculturalité suppose aussi l'ouverture à de nouveaux repères conceptuels. Aborder une relation partenariale (co-traitance...) avec les repères de la relation contractuelle (sous-traitance...) conduit sûrement à l'échec.

Plus profondément encore, plus désastreux aussi, le refus du principe même de l'interculturalité. En Afrique, en Palestine, en Europe centrale, où des peuples cohabitent difficilement, on choisit la facilité en leur attribuant des territoires étanches, alors que leur problème est d'apprendre à vivre ensemble : on a besoin d'un décloisonnement des mentalités et on complique tout en cloisonnant des territoires !

Qui n'a jamais refusé d'écouter des collaborateurs ou partenaires, simplement parce qu'ils étaient culturellement dissidents ou dérangeants... alors qu'ils apportaient probablement du sang neuf ?

Décloisonnez-vous !

A l'heure de la gouvernance, le défi est clair : il faut se décloisonner et trouver le subtil équilibre entre un multilinguisme inaccessible et un espéranto réducteur. Défi avant tout culturel, s'agissant de cultiver un état d'esprit ; le reste est affaire de méthode.

Cette méthode recherche en permanence l'ouverture sur trois dimensions. Dimension "objective" : élever son niveau d’autonomie et de rigueur, pour mieux interagir avec un environnement complexe et mouvant. Dimension "subjective" : élever son niveau de curiosité et de créativité (le cerveau droit), pour oser aller au différent, expérimenter, innover… Dimension "relationnelle" : élever son niveau de responsabilité et de solidarité, pour mieux travailler avec d'autres, en interne (groupe) et en externe (partenariat).

A. Maslow a étudié des Spinoza, Lincoln, Einstein, Eleanor Roosevelt et autres personnalités ayant fait un usage exceptionnel de leur potentiel. Traits communs : capables de tolérer l'incertitude, spontanés en matière de pensée et d'initiative, centrés sur le problème plutôt que sur leur intérêt personnel, ils résistent à l'endoctrinement sans être "anticonformistes par principe", ils établissent des relations satisfaisantes avec peu de gens plutôt que superficielles avec beaucoup, ils gardent un point de vue objectif, ils sont préoccupés par le bien-être de l'humanité, ils comprennent en profondeur les multiples expériences de la vie, ils ont un bon sens de l'humour...

Jean-Pierre Quentin est consultant, professeur et auteur. Intervenant dans des situations complexes, dans des contextes de changement, il aide à décloisonner les relations et à imaginer le futur.

Les thèmes de cette chronique sont développés dans un article plus complet : "Multilinguisme ou espéranto ?"

01/09/2004

"Dénouer la boucle d'incertitude" par Cyril Blin de Belin

cyril.jpg


Les rétrospectives sont souvent l'occasion de retracer le fil du temps. Que celle qui se déroule actuellement (1) sur l'œuvre de Nicolas Schöffer, soit une prise de conscience supplémentaire pour s'engager à tisser notre devenir.


Épanouir l'homme et la société

Artiste majeur de la seconde moitié du XXe siècle, Nicolas Schöffer est une figure de l’art cinétique et le pionnier de l’art cybernétique. Tout d'abord peintre puis simultanément sculpteur, urbaniste, architecte et théoricien de l'art, il s'est également investi dans le spectacle et la vidéo.

Son exposition qui est empreinte d'histoire nous rappelle un temps propice aux utopies. Depuis, c’est un bien réel « temps de l'incertitude » qui les a supplantées, sur fond de bouleversements, de crises sociales et économiques. Pas de nostalgie, profitons plutôt du discernement de son imagination créatrice pour parvenir à aiguiller le dénouement de notre temps.

Si à l'époque, le progrès était synonyme de bonheur et que tout semblait possible…, ce contemporain des 30 glorieuses s'impliquait quant à lui à proposer le souhaitable avec une lucidité visionnaire. Engagé dans l'épanouissement de la société et de l’homme, il créait à l'échelle de la ville. Son ambition était alors de redonner aux hommes le plaisir de vivre, à l'abri des pollutions visuelles et auditives. Loin également d'être autistes, ses créations cybernétiques n'avaient pas d'autre contrainte que celle d'établir une interaction avec le public.

Retenons donc que sa vocation prospective de l'art était de faire évoluer l'homme par une prise directe sur les véritables possibilités créatrices et libératrices de son époque.


Animer un art de vie responsable

Que ce focus sur la vision prospective de cet artiste, serve de mise au point.

Aussi fabuleuse que puisse paraître une émergence, elle n'est pas nécessairement porteuse d'avenir. Ne nous réjouissons donc pas de toutes les découvertes fortes de notre époque! L'exigence prospective veut qu'une émergence soit créatrice de valeur pour être profitable au vivant.

L'enjeu de cette démarche est en effet de contribuer à l’épanouissement de l'homme et de la société sans asservissement. En termes d'imagination, tout est alors possible. La seule condition est que cela soit souhaitable et favorable pour conquérir le devenir que nous désirons avoir.

Ne soyons donc pas résignés à subir l’incertitude ambiante. Pourquoi attendre qu’elle passe comme une averse pour vivre des jours meilleurs?

Initions notre devenir en le construisant chaque jour et imaginons comment l'animer par un art de vivre responsable.
Insufflons également le changement par des initiatives multi-métiers qui soient respectueuses de la société, de l’homme et du vivant.


Stimuler le rayonnement des marques

C'est à un contexte particulièrement hostile que les entreprises sont confrontées.

Les marchés sont en effet couverts par une giboulée d'offres produits/services et sont également orageux par la rafale des flux médiatiques. On sait également que les individus adoptent un comportement d'achat de plus en plus versatile.

Ces perturbations qui planent actuellement dans l'atmosphère de consommation vont conduire davantage de marques et d'entreprises à s'impliquer dans une démarche prospective car elles rencontrent une difficulté croissante à se déterminer.

C'est pourquoi, il est devenu vital d’impulser un essor qui soit profitable à tous.

Si les marques veulent émerger, créer un lien pérenne et impliquer davantage, elles devront se valoriser en stimulant leur influence bienfaisante.

Pour parvenir à éveiller le désir et à fidéliser avec attachement, il est donc nécessaire de vitaliser et de pérenniser la considération de sa valeur ajoutée distinctive.

Le ressourcement prospectif est aujourd'hui l'appel d'air qui permet aux entreprises d'agir avec discernement. Son potentiel est clairement en alternative avec celui des tendances éphémères, qui ne sont que des « coups » ponctuels. Si ces épiphénomènes n'enrichissent ni ne construisent pas durablement les marques, à quoi bon alors?

La démarche prospective est quant à elle une énergie renouvelable qui favorise le développement durable de l'entreprise. L'exploitation d'émergences créatrices de valeur, contribue ainsi à se libérer des contraintes restrictives à son essor et à épanouir l'individu-consommateur.

En tout premier lieu, son enjeu est d’insuffler un changement qui soit constructif et bienfaisant pour elle comme pour l'homme et la société. Ne plus perdre de vue la vision de la marque entre les turbulences et l'incertitude ambiante, c’est se concentrer à cultiver un supplément d’âme. Cela passe par le déploiement d’un engagement spécifique utile et responsable mais aussi par la considération des individus, en faisant l’effort chaque jour de créer la surprise et de renouveler leur étonnement.

Vous avez évidemment déjà observé ce qui se produit quand une éclaircie traverse un rideau de pluie ; c'est ce phénomène naturel remarquable que les marques doivent se consacrer à reproduire si elles veulent rayonner dans cet environnement hostile.

Cyril Blin de Belin est consultant, fondateur de l’agence Tropismes qui intervient dans le conseil en essor des marques et des entreprises - ©Tropismes

01/07/2004

"Question de confiance" par Louis Tuvée

louis_the_genius.jpg


L’innovation, tout le monde en parle : des politiques nationaux ou internationaux aux dirigeants d’entreprise. Nombre d’acteurs la valorisent et la recommandent. Cependant, si l’on souhaite dépasser l’aspect incantatoire et messianique de nombreux appels à l’innovation, il me paraît important d’en connaître et d’en reconnaître non seulement les vertus mais aussi les valeurs qui la sous-tendent et les obligations qui en découlent.

De nombreux concepts – de la planification stratégique aux démarches qualité- ont souvent achoppé sur les mêmes obstacles humains, les transformant rapidement en quelque sorte en "intermittents" du spectacle managérial.

L’innovation est sans conteste sinon la voie, l’une des voies principales du développement économique et du progrès social et cela, aussi bien pour les pays développés comme avantage concurrentiel et moyen de stopper ou de limiter l’hémorragie des délocalisations,que pour les pays en développement pour leur permettre de rattraper tout ou partie de leur retard sans passer par toutes les étapes – et toutes les errances- de l’histoire économique des premiers.

L’innovation est risquée dans les deux dimensions du changement : les aléas du parcours dans un environnement turbulent et l’incertitude du point d’arrivée.

Certes, de nombreuses directions réclament plus ou moins implicitement à leurs collaborateurs "des nouveaux produits qui aient fait leurs preuves" mais en l’état actuel de mes connaissances … les recherches continuent.

Toute entreprise est prise de risque : c’est dans son étymologie et sa pratique. "L’aventure sans risque" est une utopie dans le sens négatif de ce terme.

Certes, le risque doit être évalué et dans toute la mesure du possible, et du raisonnable maîtrisé, mais il doit être pris ! Le "risk-assesment" a fait des progrès notables, parfois même l’Assurance et la Ré-Assurance couvrent les risques. La prospective intervient comme réductrice d’incertitude. Mais le risque et, au premier chef, le risque d’innovation, demeure proportionnel à la nouveauté de la proposition sous forme de produits, de services, d’accès ou plus globalement d’idées.

Pour vaincre les "murs" de l’indifférence et de la résistance – à l’externe mais d’abord à l’interne- la seule énergie est la ressource humaine et plus précisément la confiance.

- Confiance dans la culture d’entreprise et les compétences des collaborateurs
- Confiance dans la délégation et l’apprentissage par l’erreur
- Confiance entre les partenaires de l’équipe projet et confiance réciproque entre les experts "nés de mars" : ingénieurs, techniciens des bureaux d’études et de la R&D et ceux "nés de vénus" : marketeurs et designers
- Confiance dans l’éclairage des scénario
- Confiance dans "l’irrationnel" : imagination, intuition, émotion
- Confiance dans la phase divergente de la créativité
- Confiance dans la capacité de la phase convergente à aboutir à des solutions.
- Confiance dans les deux cerveaux et en quelque sorte, confiance réciproque entre les deux cerveaux au niveau individuel et au niveau collectif


Avant tout, confiance en soi tempérée bien entendu par la dose nécessaire d’humilité, d’écoute et de partage.
Et tout simplement, confiance en l’avenir.

Pour toutes ces raisons, promouvoir l’innovation est louable, valoriser la créativité est souhaitable, souligner l’importance de l’anticipation est raisonnable mais si l’on souhaite dépasser là aussi le stade (et l’efficacité) de "l’ardente obligation", toute démarche et projet d’innovation me paraissent devoir être précédés et préparés, au-delà du problème posé par une réflexion approfondie et un travail méthodique, sur la problématique même de l’innovation avec le risque comme question et la confiance comme réponse.

L’audit sur "l’état de la confiance" et la culture du risque permettra de délimiter le "champ des possibles"et d’ajuster dans un premier temps les ambitions et l’action à ce cadre pour élargir et renforcer ensuite le potentiel réel culturel et méthodologique d’innovation.

Si la confiance ne s’enseigne pas mais "se voit et se vit", on peut néanmoins en souligner l’importance et en faciliter le développement.

Dans cet ordre d’idée, espérons aussi que l’enseignement supérieur (sciences "dures" et sciences "molles" réunies) et la formation continue (technique ou commerciale), sauront faire une petite place à ce grand sujet.

La même année, en 1995, (il faut souvent voir dans le synchronisme, un signal faible) sortaient deux ouvrages importants sur le sujet :
La société de confiance d’Alain Peyrefitte
Trust de Francis Fukuyama

Différents, complémentaires opposés parfois, les deux auteurs convergeaient vers la même conclusion générale : la confiance enracinée dans la culture est l’origine et le levier principal du développement des nations et des civilisations.

Individualisme, fracture sociale et générationnelle, judiciarisation de la société, "lutte des classes" remplacée par "lutte des places", mondialisation, réduction d’effectifs, délocalisations : ce "bruit de fond" économique et sociologique de la décade écoulée a bien obscurci voire occulté le message.

Plus grave encore peut-être pour la vitalité de la confiance : la dissonance entre le discours et les actes, parfois même le "masque" de certains concepts managériaux ont développé déception et méfiance.

L’innovation est en fait une suite de questions-réponses : marché/offre, besoins/fonctions, fonctions/solutions technologiques, facilités d’usage/ergonomie physique et cognitive, émotion et séduction/design sensoriel.
Mais la question fondamentale qu’elle pose demeure à mes yeux la confiance.

"L’innovation se nourrit de confiance", dit-on,… alors bon appétit !

Louis Tuvée est consultant, auteur de "Changement des les organisations – Que Sais-je n°3114 – PUF" et de "La culture du risque" (chapitre 9 in Comprendre et gérer les risques – coordination Franck Moreau – AFPLANE – Editions des Organisations)

01/06/2004

"Conscience pour Demain" par Marc van Keymeulen

marc_hvk_presse.3.jpg


L'âge industriel se clôt.
La société de la connaissance et de l'information commence d'émerger.
La rupture sera – est déjà – aussi radicale qu'inéluctable.
"Notre société est en grand danger car elle est arrivée au terme de sa logique."[1]
La réflexion et les pratiques politiques n'échapperont pas à cet immense chambardement.

De nouveaux modes de gouvernance doivent impérativement remplacer et dépasser les vieux slogans, les vieux mythes, les vieilles valeurs, les vieux principes hérités du siècle des "Lumières" (le XVIIIème), du siècle des "Idéologies" (le XIXème) et du siècle des "Barbaries" (le XXème).
La notion même de territoire perd sens et les frontières politiques –ces vieilles cicatrices de l'Histoire – disparaissent déjà sous l'épaisse couche des réseaux mondiaux globalisés.

Il n'est plus moyen de rester aveugle et de faire semblant.
Les grands mythes de la politique de naguère s'effondrent un à un.
Le démocratie n'est plus que démagogie.
La justice n'est plus que juridisme.
La solidarité n'est plus que ponction fiscale.
La politique n'est plus que clientélisme.
Le civisme n'est plus qu'ennui.
La citoyenneté n'est plus qu'assistanat.
La société civile n'est plus qu'agglomérat anonyme d'égoïsmes indifférents.

L'heure n'est ni à la nostalgie, ni à l'utopie.
Il ne s'agit pas de pleurer un "bon vieux temps" qui n'a jamais existé que dans l'imaginaire des décalés.
Il ne s'agit pas d'appeler à "la révolution" qui n'a jamais nourri que les rêveries romantiques de tyrans frustrés.
L'heure est à la réflexion de fond.
L'heure est à l'imagination : il faut inventer de nouvelles gouvernances.
Ni de gauche, ni de droite, mais en avant !

"Conscience pour Demain" s'inscrit dans cette ligne : repenser le politique de fond en comble, en toute liberté, sans jamais accepter quelque compromission, quelque récupération, quelque pression que ce soit.
Esprits libres pour une vie libre dans une société libre : voilà ce que sommes, voilà ce que nous prétendons demeurer.

Repenser le pouvoir – les pouvoirs – et repenser ses finalités et ses limites.
Repenser les modalités de son partage, de son exercice et de son contrôle.
Revisiter tous les jacobinismes, tous les monolithismes, tous les centralismes, toutes les hiérarchies, toutes les institutionnalisations …
Assumer pleinement la complexification radicale du monde et refuser tout réductionnisme, tout simplisme …
Assumer donc toutes les multiplicités, toutes les diversités, toutes les mixités …
Assumer l'implosion et la disparition progressive des pouvoirs et des institutions étatiques …
Assumer les multiples nouvelles donnes à la fois locale et globale, à la fois tribale et transnationale …
Repenser, en somme, le "vivre ensemble" dans un monde où les valeurs d'hier ne peuvent plus avoir cours tant elles sont usées et obsolètes.
Un monde de communautés plastiques, imbriquées et impermanentes.
Un monde d'échanges à la vitesse de la lumière.
Un monde de solidarités mouvantes, efficaces, libérées et réinventées.
Un monde débarrassé des matérialismes avilissants où l'esprit souffle à nouveau.
Un monde où l'orgueil humain n'a plus sa place face à la nature mutilée et à la culture avilie.
Un monde qui pourra accueillir nos descendants avec le sourire, dans la paix et la sérénité.
Bref : un monde en bonne santé … sur tous les plans.

Car aujourd'hui, le monde est malade !
Et les apprentis guérisseurs ou maîtres charlatans sont innombrables.
Chacun y va de sa potion magique, de son philtre miracle : les noms changent mais les recettes demeurent.
Lorsque les démocrates deviennent démagogues, fatalement, les gauchistes deviennent écologistes, les communistes deviennent alter-mondialistes, les fascistes deviennent populistes, les marxistes deviennent marxiens, les national-socialistes deviennent nationalistes, etc … : mais tous resservent leurs mêmes soupes infectes et empoisonnées, ces vieux brouets pourris qui remplissaient les gamelles au Goulag et à Auschwitz.

Oui, le monde humain est malade.
Malade de ses progrès. Malade de ses erreurs. Malade de ses immaturités. Malade de ses rêves et de ses utopies. Malade de ses simplismes et de ses nostalgies.
Malade de son ignorance et de son orgueil, surtout.
Humain, trop humain ?
Très inhumain, surtout !

Il ne s'agit pas tant de susciter des militances que de mobiliser des intelligences.
Il s'agit donc de créer un espace libre où le politique de demain pourra éclore, se nourrir et se forger à l'enclume des intelligences et au marteau des mots.
Rien n'est écrit ; tout reste à inventer, à créer, à penser, à rêver.
La société de demain sera celle qui nous allons construire, sinon elle sera celle que nous aurons méritée !

[1] Xavier Emmanuelli (Cofondateur de « Médecins sans frontières » et fondateur du SAMU social de France)

Marc van Keymeulen est consultant et fondateur de l'Institut Noétique - ©Marc van Keymeulen - ©Institut Noétique

01/05/2004

"Une vision détournée" par Raymond Vaillancourt

vaillancourt.jpg


Il semble de plus en plus évident que la recherche de profits rapides au sein des entreprises privées de même que l’assujettissement à l’équilibre budgétaire comme seul leitmotive au sein des organisations publiques les conduit à délaisser de plus en plus l’utilisation d’une vision comme catalyseur de la mobilisation. En effet, à quoi servirait une vision dont la portée serait continuellement obnubilée par l’accroissement du taux de retour sur le gain en capital des actionnaires ou encore sur la récupération de l’excédent des revenus sur les dépenses par les gouvernements ? Dans une telle perspective, la présence d’une vision demeure un obstacle que l’on préfère habituellement ne pas avoir à affronter.

C’est là cependant un mauvais calcul en matière de prospective et d’avenir pour les dites organisations ou entreprises. Autant il y va de l’intérêt d’une entreprise souhaitant demeurer à la fine pointe de son créneau de ne pas sacrifier au pourcentage de profit son budget de recherche et de développement, autant il y va de la survie même des organisations publiques le fait de ne pas se confiner à la seule recherche de l’atteinte de l’équilibre budgétaire. Dans l’un et l’autre cas, ce serait hypothéquer l’avenir pour le seul présent et oublier que l’avenir ce n’est que le présent répété ! Dans ces conditions, la recherche de profits rapides ou du déficit zéro aura tôt fait de détourner le sens desdites organisations et entreprises.

Or ce qui fait vivre les organisations et les entreprises et les garde significatives aux yeux de ceux qui y travaillent, c’est justement la présence d’une vision donneuse de sens et mobilisatrice. Dès que cette vision est sacrifiée au profit de contingences essentiellement matérielles qui ne profitent qu’à certains (actionnaires ou hommes politiques), la tentation est grande pour ceux qui y œuvrent de détourner les intérêts de l’entreprise ou de l’organisation au profit de leur intérêt individuel, accroissant ainsi la nécessité d’exercer davantage de contrôle sur les mécanismes de production ou d’offre de service et, partant, de diminuer le sentiment de responsabilité des employés. Bref on poursuit une spirale chimérique qui risque de provoquer un accroissement continu des fusions et/ou regroupements de même que des coûts humains qu’elles engendrent pour une augmentation minime des profits dans l’entreprise privée et une situation financière chaotique pour les organisations publiques.

En renonçant à une vision porteuse faisant appel à l’avenir de l’organisation ou de l’entreprise en des termes autres que comptables, on l’assujettit à un présent qui risque de la faire basculer dans le passé ! En sacrifiant le moyen terme au court terme, on rend quasi-impossible, pour les employés, l’identification à l’organisation la fragilisant davantage en cette période d’incertitude. Car ce sont les valeurs qui font vibrer les individus, que ces valeurs soient matérielles ou spirituelles, et les assujettir à des objectifs uniquement financiers risquent de les pervertir. En période de bouleversements et d’incertitudes comme celle que nous traversons, les personnes ont plus que jamais besoin de se référer à une vision qui leur permet de s’élever au-dessus du quotidien et de se prolonger au-delà du présent. En faire l’économie ou, pis encore, en la dénaturant par un usage du faux-semblant, est un très mauvais calcul pour les organisations ou les entreprises.

L’absence de frein au capitalisme peut sembler, dans un premier temps, fort profitable mais c’est oublier que les organisations et les entreprises sont comme les individus : leur pérennité dépend essentiellement de ce qui les anime, des valeurs qui les sous tendent et de la vision de leur propre avenir. Sans ces éléments, elles ne sont plus maîtres de leur destin et, du point de vue du changement, elles le subissent plutôt que de le conduire.

Raymond Vaillancourt est consultant et est basé au Québec - ©Prospect Gestion - ©Le Temps de l’Incertitude