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23/01/2005

Quel manager êtes-vous ? par Marc van Keymeulen



Eclatement économique et financier

La structure économique est en train d'éclater : des mondes économiques de nature différente émergent et devront cohabiter pour le pire et le meilleur. En très gros, la plus grosse part de l'économie de demain relèvera d'une logique artisanale (les nouveaux métiers de la connaissance, de la créativité et de l'intelligence, mais aussi les artisanats et commerces des biens et services "sur-mesure", hyper-personnalisés et de haute qualité et savoir-faire) alors que la logique industrielle de la production et la commercialisation des biens et de services, standards et de masse, deviendra minoritaire et se cantonnera dans des "commodities" et des "low interest products".
De là, éclatement aussi des machineries financières avec, d'une part, la logique industrielle très "capital intensive" qui continuera d'alimenter les circuits bancaires et boursiers devenus marginaux et fonctionnarisés, et, d'autre part, la logique artisanale exclusivement "people intensive" qui échappera quasi totalement à ces circuits : ce sera l'ère annoncée du post-capitalisme (cfr. Peter Drucker : "Post-capitalist society" – Harper Collins : 1993).

Eclatement de la consommation

De nouveaux comportements massifs d'achat et de consommation enclenchent déjà la dislocation des grands groupes agroalimentaires (Unilever, Nestlé, Coca-cola, Danone, etc …) face à de nouvelles exigences éthiques et qualitatives, et l'ébranlement de la grande distribution face au "hard discount" et à la remontée des commerces personnalisés de proximité.
Le consommateur a déjà commencé d'éclater ses comportements d'achat : il achète ses commodities au prix le plus bas (Lidl, Aldi, Trafic, …) et la vraie qualité chez l'artisan. Entre ces deux pôles commerciaux, il n'y aura bientôt plus de place pour le compromis des mammouths de la distribution qui, donc, devront choisir ou disparaître : GB a bien fait de tirer à temps son épingle du jeu, son concept était condamné.
Michel-Edouard Leclerc (PDG du Groupe Leclerc en France) fut fort clair, à Locarn, quant à sa stratégie en la matière : "nous voulons toujours être les meilleurs marchés donc nous serons la soupe populaire de demain".

Eclatement managérial

Ces mouvements de fond n'épargneront ni le management, ni les managers, et les divergences entre les différents types de managers qui existent déjà aujourd'hui, s'exacerberont.
Construisons-en une typologie : il y a d'une part la différence fondamentale entre les managers-entrepreneurs et les managers-salariés ; il y a d'autre part la différence essentielle entre les actionnariats internes (les actionnaires sont les dirigeants), les actionnariats dilués (une nuée de petits actionnaires sans pouvoir réel et donc passive) et les actionnariats puissants (des actionnaires majoritaires forts, en général obnubilés de rentabilité financière à court terme, comme les fonds de pension).

Ceci permet d'établir la typologie ci-dessous :

Manager entrepreneur/ Actionnariat interne : Logique entrepreneuriale PME (risques de paternalisme ou de tyrannie)

Manager entrepreneur/ Actionnariat dilué : Logique entrepreneuriale GE (risques d'abus ou de frustrations financiers) jusqu'à coalition des petits actionnaires qui constitueront, alors, un actionnariat fort (cas ci-dessous)

Manager entrepreneur/ Actionnariat fort : Conflits majeurs inextricables

Manager salarié/ Actionnariat interne : Situation absurde (sauf pour d'éventuelles raisons administratives de couverture sociale)

Manager salarié/ Actionnariat dilué : Risques majeurs de fonctionnarisation ou d'ego-trip, jusqu'à coalition des petits actionnaires qui constitueront, alors, un actionnariat fort (cas ci-dessous)

Manager salarié/ Actionnariat fort : Courroie de transmission soumise


La lecture de cette typologie indique clairement que la large majorité de nos actuels managers est salariée (héritiers, carriéristes, parachutés, pistonnés, apparatchiks ou autres) et est, donc, condamnée à se transformer en courroies de transmission obéissantes et frustrées.

On voit donc, en synthèse, qu'il n'y aura, in fine, que deux types de managers "durables" : le manager-entrepreneur indépendant qui développera un réseau de PME avec ses partenaires directs et actifs (ce sera la structure des grands groupes de demain) et le manager-salarié "courroie de transmission" entièrement soumis à la tyrannie des actionnaires et donc d'une logique financière pure et à court terme.

Des situations intermédiaires pourront, bien sûr, exister, mais jamais dans la durée, tant leur instabilité intrinsèque deviendra de plus en plus grande.
Il est intéressant de constater que la majorité de ceux que la presse appelle aujourd'hui les "grands patrons", sont quasi exclusivement des managers salariés qui n'ont jamais rien entrepris ni géré sur le terrain, et dont les logiques sont soit l'ego-trip (souvent d'une arrogance rare : on se souvient du flagrant cas Mercier chez Universal), soit le fonctionnarisme (soumis mais doré).

Il est curieux, aussi, de constater que le CD édité par la fondation FREE pour promouvoir l'esprit d'entreprise auprès des jeunes en Wallonie, se centre sur des interviews de ces "grands patrons" certes sponsors, mais qui n'ont jamais rien entrepris eux-mêmes et qui n'ont pas la moindre idée du parcours du combattant d'un créateur de PME. Le paradoxe est énorme et la crédibilité nulle : quel jeune de 2004 pourrait aspirer ressembler à Lippens ?

Eclatement des cultures managériales

Les styles de management se démultiplieront et chaque couple entreprise-patron devra inventer celui qui lui conviendra le mieux (il y a des méthodologie pour cela).
Mais, globalement et caricaturalement, on peut déjà distinguer trois styles majeurs :

· Celui du patron-salarié fonctionnaire à la botte des actionnaires dont la seule préoccupation majeure sera de garder sa place et donc sombrera dans une logique de contrôle de gestion et de prise de risque minimale. Son mot-clé est : non ! Il passera sa vie écartelé entre conseil d'administration et conseil d'entreprise, entre logique financière et logique syndicale au sein d'un dualisme marxiste (capital/travail) aussi obsolète que lui.
· Celui du patron-entrepreneur "autocrate" qui sera un bosseur invétéré et fécond jusqu'à ce que le "grosse tête" le rattrape et qu'il n'entre en ego-trip comme on entre en religion : le culte du moi le guette et fragilisera terriblement son œuvre.
· Celui du patron-entrepreneur "réticulant" qui a une âme de pépiniériste et qui cultive avec dextérité et savoir-faire un jardin multiple et coloré d'activités diversifiées mais connexes, centrées autour de ses compétences et talents réels. Contrairement à ses deux confrères, ses valeurs seront celles de ceux que l'on appelle les créatifs culturels (autonomie, écologie, responsabilité, frugalité, qualité de vie, accomplissement de soi, spiritualité et éthique, créativité, etc …)

Bien sûr, chacun de ces trois types pourra (devra) être décliné de mille façons.
Cela fera la richesse et l'intérêt du paysage managérial de demain.
Mais avec lequel de ces patrons souhaiteriez-vous travailler ?
A vous de voir. A vous de choisir. A vous de décider.

Marc van Keymeulen est consultant et fondateur de l'Institut Noétique - - ©Institut Noétique

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