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08/06/2005

Dans la série Instants de demain : "Une journée pour le pire ou le meilleur technologique"




8 h 17

Bernard entre dans l’immeuble de la Défense, met sa clef dans la « répartisseuse » qui lui indique « bureau 39-263 ». Il monte au trente-neuvième étage et pénètre dans la cellule 263. L’ordinateur déjà allumé lui rappelle son programme du jour ainsi que les tâches urgentes à effectuer. Il n’y fait pas attention. Sa priorité est de trouver le nom de la charmante personne qui occupe aujourd’hui la cellule voisine.

9 h 12

Marine peste. Le thermomètre a dépassé la barre des trente degrés et elle est obligée d’emporter le manteau téléphone que Franck lui a offert. Elle note dans son carnet : « Amener Franck chez Hermex. Dans leur dernière collection, ils proposent des foulards-téléphones très élégants.

10 h 18

La sonnerie du téléphone réveille Alain. Une voix suave lui dit :

- Rendez-vous dans une heure chez Jeanne.

Il saute de son lit, allume son ordinateur, inscrit Jeanne dans les moteurs de recherche. Une liste impressionnante de sites lui est proposée. Il s’interroge, se répète la phrase : « Dans une heure, chez Jeanne. » Un déclic se produit. Il écrit : « Une heure, chez Jeanne. » Un site apparaît. Il clique. On lui demande un mot de passe.

Le téléphone sonne de nouveau. Alain décroche :

- Caroline, c’est toi ?

- Qui veux-tu que cela soit ? Est-ce que tu t’es occupé de la liste des invités au mariage ?

- Quel mariage ?

- Le nôtre pardi, réplique Caroline.

Alain éloigne le téléphone. Depuis qu’il s’est inscrit au dernier jeu virtuel à la mode « Trouver l’âme sœur », la réalité n’a vraiment plus beaucoup de place dans sa vie.

11 h 13

Mark compose le numéro de téléphone bancaire de Valérie. Une canette de Coca décroche du distributeur. Mark sourit. Quand le montant sera débité du montant de la facture téléphonique de Valérie, elle comprendra que la vengeance est un plat qui se mange pétillant.

12 h 27

- On ne vous attendait plus. Votre table est occupée.

Évelyne a un sourire crispé. Depuis qu’une capsule dotée de capteurs décèle le taux de sucre dans son sang, elle n’est plus obligée de manger à heures fixes. Enfin, aussi performante soit-elle, la technique ne doit pas lui bouleverser ses habitudes quotidiennes.

15 h 03

- Madame la juge. Il ne s’est jamais occupé des enfants. Jamais, il n’a changé aucune couche ou donné un biberon.

- C’est faux, Madame la juge. Mon ex-femme est une menteuse et je vais le prouver.

Sabri sort son portable et se connecte sur son disque dur personnel où sont stockés tous les éléments qui concernent sa vie personnelle : comptes, lettres, factures, photos, vidéo... Voilà, j’ai trouvé. Madame le juge, regardez cette photo, dit-il en lui tendant son téléphone portable. Je suis en train de donner le biberon à Melissa.

- C’était juste une fois, pour la photo.

- Madame la juge, vous avez maintenant la preuve que ma femme est une menteuse, dit Sabri en remerciant son père de l’avoir obligé à effectuer ce stockage de manière aussi rigoureuse.

15 h 12

Patricia s’affole. Déjà 15 h 12. Elle va être en retard à son rendez-vous. Elle claque la porte et accélère le pas. Dans la rue, elle repère un « call-bike ». Super, se dit-elle en composant le numéro de téléphone du loueur. Elle s’approche du vélo pour leur fournir le code identifiant l’objet, quand elle voit un homme qui fait de même.

- J’étais là avant, dit Patricia.

- Cela m’étonnerait. On vient de me transmettre le code de déverrouillage.

- Vous n’êtes pas galant.

- Je suis désolé, mais prenez-vous en aux techniciens. Ils n’ont pas considéré que cet élément soit un facteur de progrès.

16 h 34

Victorine reçoit sur son portable un SMS qui lui indique que sa fille se trouve à moins d’un kilomètre de chez elle. Des larmes coulent le long de son visage. Ce matin, elle lui a téléphoné pour lui dire que, sa voiture étant en panne, elle ne pourrait pas venir la voir.

18 h 09

- Allô ! Stéphanie. Je suis au rayon nouilles.

- Montre.

Brice retourne son téléphone portable et filme l’ensemble du rayon.

- Tu peux remontrer le deuxième rayon, demande Stéphanie.

Alain opère un deuxième panoramique.

- Tu peux faire un zoom sur les spaghettis... Non, approche-toi plutôt des coquillettes. Enfin, je préférais un plan large des Fusilli.

Dans un mouvement lent et continu, Brice lève le bras au plus haut, se hisse sur la pointe des pieds et ouvre lentement la main. Devenu main libre, le téléphone se fracasse sur le sol et se disloque en plusieurs morceaux.

19 h 30

- Allô, Martine, dit Jules. Le patron était pris avec un client. La réunion va commencer. À mon avis, il y en a au minimum pour deux heures. Si tu veux, on se voit demain.

Martine appuie sur la fonction géolocalisation. L’adresse personnelle de Jules apparaît.

- À demain, mon amour, dit-elle avant de raccrocher.

Elle compose ensuite le numéro de Nicolas et lui propose d’aller demain soir au cinéma. Nicolas accepte, Martine est aux anges. Demain, il faudra juste qu’elle n’oublie pas de débrancher la « géolocalisation. »

20 h 29

Paul part de son bureau. Il appuie sur la touche maison de son portable. Au dernier virage avant d’arriver, il assiste à l’allumage des lumières. Il accélère, le portail a été programmé pour s’ouvrir alors qu’il circule à 90 kilomètres/heures. Il pénètre dans la maison. La chaîne se met en marche et lui propose un concerto pour violoncelles.Il va à la cuisine et ouvre le Frigidaire pour prendre le whisky avec glaçons fraîchement servi. Le téléphone sonne. Il le laisse sonner en se disant : « C’est encore elle ». Il sonne de nouveau cinq minutes plus tard et une voix dit :

- Paul, pardonne-moi. Sans toi, je ne peux plus vivre. Laisse-moi une deuxième chance.

Paul se tait, hésite à raccrocher le téléphone quand la voix répète : « Paul, pardonne-moi. Sans toi, je ne peux plus vivre. Laisse-moi une deuxième chance. »

Paul raccroche en colère. Si sa maison est dite intelligente, elle a la bêtise de ne pas comprendre ses incertitudes. Dans l’élan, il va supprimer la rubrique téléphone de sa programmation.


Par Anne-Caroline Paucot

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