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10/07/2005

Gouvernance ou leadership ? Par Angela Minzoni-Déroche, Conseiller de synthèse*


En 1969, le quinzième - et dernier - cahier de prospective du Centre d’études prospectives attirait notre regard sur la « grande maladie » du futur : l’encombrement. Nous sommes à l’aube de ce qui était le futur en 1969 et, par plusieurs aspects, nous pouvons bien dire que la maladie est déjà là. L’obésité ne nous guette plus, elle est installée non seulement dans les corps mais aussi dans nos esprits. Dans nos organisations dites horizontales ou matricielles où la prise de pouvoir est d’autant plus subtile qu’elle est diversifiée, dans l’accroissement exponentiel des modèles dont la longévité ne dépasse pas celle des roses, la prolifération aussi peu maîtrisée que les vagues meurtrières et la légitimité aussi ténue que les couleurs des peintres impressionnistes, dans les lieux de consommation, etc ….

Il y en a trop, nous en sommes tous d’accord, mais il n’y en a pas encore assez. Cette phrase n’est pas un remède à la maladie de l’encombrement, elle ne fait que faciliter la circulation, elle pose des frontières, elle incite à accepter l’existence de contradictions et la nécessité de les trier. Aussi les concepts de leadership et de gouvernance figurent-ils dans les top five qui, sur le ring des concepts, se livrent un match sournois. Tous les deux sont utilisés en politique, en finance, en organisation, en éducation et recherche, en stratégie, le premier, d’ailleurs, depuis bien plus longtemps que le deuxième…

Si nous tentons de retenir deux définitions, nous pourrions dire que le leadership, le vrai, l’essentiel, est celui qui provient de l’intérieur du visionnaire, issu d’un effort de synthèse de tout ce qu’il a vécu, pensé, ressenti et produit. Issu de la capacité du leader à non seulement connaître ses fantasmes personnels - qui sont certes susceptibles d’être une source d’énergie - mais à les transformer en imagination, force qui dépasse la personne pour être partagée par les individus de son époque. W. Taylor, Coco Chanel ou le mahatma Gandhi en sont quelques exemples.

Puis, il y a le leadership moins essentiel, de surface, banalisé, celui que les marques revendiquent tous les mois, que les chefs de projet s’arrachent tour à tour, que certains managers regrettent d’avoir perdu, qui trouve sa source dans les rapports de force immédiats et capricieux, c’est un leadership opportuniste, où seules les micro - contraintes extérieures guident l’action qui devient agitation. La liste d’exemples, ici, serait trop longue…

En ce qui concerne la gouvernance, c’est un mot qui, tout comme leadership a fait fortune et là aussi, on pourrait déceler deux gouvernances : celle qui incarne une utopie, qui ne s’impose pas par la force militaire ou économique, qui vise le maintien dans la durée de la cohésion, que les experts appellent « gouvernance hétérarchique », multipolaire, où les gouvernés sont, dans les aspects qui les concernent, des co-gouverneurs. L’autre gouvernance est issue d’un constat de crise de la gouvernabilité, de méfiance collective, d’une envie de contrôler, de poser des cadres et des procédures pour endiguer les risques - et les scandales –financiers mais aussi d’ordre moral.

Cette gouvernance-ci, difficile à vivre, n’est qu’une méthode de management parmi tant d’autres, prône l’ordre mondial et envisage sans pâlir l’existence d’un seul grand ordonnateur ; elle bute devant le problème majeur de ne pas réussir à faire la synthèse d’objectifs contradictoires, de ne pas comprendre que la coopération est tout aussi fructueuse, voire davantage, que le compétition. Elle appelle à la rescousse le leadership de l’immédiat pour s’imposer par la force, quelle qu’elle soit. Certains y voient les préludes de la post-démocratie… ne s’agirait-il pas d’un retour à la pré-démocratie, avancées technologiques en prime ?

A la différence du leadership, la gouvernance ne semble s’appliquer pour le moment qu’aux très grands ensembles perçus comme étant ingouvernables vu le nombre de logiques et d’influences contradictoires qui sont à l’œuvre. Quand l’ensemble est devenu trop grand pour les petits problèmes et trop petit pour les grands, on sait que l’heure du passage du gouvernement à la gouvernance vient de sonner. Dans une telle situation, qu’en est-il donc du leadership, pouvons-nous imaginer un quelconque leadership en gouvernance ? oui, peut-être, s’il s’agit d’avoir l’ampleur éthique et intellectuelle pour préfigurer un tel système. Oui, à nouveau, s’il s’agit du leadership venant de l’intérieur : les systèmes à gouvernance ont besoin de ce type de leaders pour l’incarner, mais très peu pourront assumer ce rôle et ils le feront dans la très longue durée, leur légitimité ne sera pas celle issue de la sélection classique. Dans ces deux cas, le match gouvernance -leadership n’aura pas lieu. Par contre, le match sera animé entre la gouvernance de la confiance et le leadership quand il s’agira du leadership de surface, celui de l’immédiat. Ce type de soi - disant leader : marque, entreprise, secteur ou manager s’épuisera à donner des coups avant de tomber, KO, hébété. Il n’aura laissé de place qu’à ses propres fantasmes identitaires, pensant que l’histoire en était arrivée aux relations de fou à fou qui, dans l’échelle du temps, auraient succédé à la relation de fort à fou qui elle même avait succédé à celle de fort à faible, mais il n’en était rien et tel l’aveugle de Breughel, il aura dirigé infailliblement ses compagnons vers la chute finale.

Contact

* Conseiller de synthèse : Inventée par le docteur André Gros en 1947, la fonction de conseil de synthèse a pour vocation d'accompagner les dirigeants d'entreprise dans la recherche d'orientations porteuses d'avenir. En termes de méthode, le conseil de synthèse, au carrefour d'approches éthiques, scientifiques, techniques et organisationnelles, transforme les données pour définir le scénario global adéquat à une situation donnée, en produire le prototype opérationnel et en garantir sa cohérence dans la durée.
Généraliste, le conseil de synthèse se pratique dans des secteurs aussi variés que l'énergie, les transports, la grande distribution, l'aéronautique, l'art, l'éducation…

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