30/11/2005
La révolution urbaine et l'automobile
Que sera l’automobile de demain en France ? Bien malin qui pourra le dire mais nombreux sont les signes qui ne trompent pas. Au travers d’une série de réflexions, Philippe Cahen, créateur-conseil en prospective, nous propose d’enrichir les scénarios prospectifs que chacun peut construire selon ses besoins. Ce mois-ci, l’urbanisme.
La France vit une révolution urbaine.
Cette révolution urbaine est démographique, géographique et sociale.
Révolution démographique. En 60 ans, la population a augmenté de plus de 50%, passant de 40 à 62 millions d’habitants. Et dans ce même temps, les campagnes se sont vidées passant de 47% de la population française à moins de 25% de la population, et ce au profit des villes. Or depuis une quinzaine d’année, ce schéma est erroné, plus encore depuis 5 ans.
Révolution urbaine. On peut même dire que ce schéma s’est inversé.
- en 1999, trois Français sur quatre (44.3 millions) vivent dans une unité urbaine[1]. La population augmente le plus dans les couronnes périurbaines qui abritent 12,3 millions de personnes. En 25 ans, cet espace a gagné plus de 3 millions d’habitants alors que les pôles urbains n’en ont gagné que 2 millions, tout en étant trois fois plus peuplés.
- les campagnes se repeuplent et notamment les communes de moins de 2 000 habitants. Pour l’anecdote, les régions qui étaient l’objet d’exode rural jusque dans les années 90 comme le Limousin et l’Auvergne se repeuplent et d’autres, au nord de la Seine, se dépeuplent comme le Nord-Pas-de-Calais, la Picardie, l’Ile de France dans une certaine mesure.
- les villes moyennes (plus de 200 000 habitants) gagnent en habitants et les plus grandes semblent avoir stoppé leur hémorragie débutée à la fin des années 80 comme Paris, Bordeaux, Nancy.
Donc les Français habitent des « villes » (en fait des « aires urbaines » qui incluent le pôle urbain et sa couronne périurbaine) de plus en plus étalées.
Révolution sociale. L’observation des revenus des foyers fiscaux entre 1992 et 2001 montre que les communes de moins de 20 000 habitants et plus spécialement celles de moins de 5 000 habitants ont les hausses les plus fortes confortant la mutation de leur population (baisse des actifs agricoles). A l’inverse, les ville de plus de 100 000 habitants et plus spécialement les villes de plus de 200 000 habitants hors Paris ont la croissance la plus faible avec un revenu fiscal inférieur à la moyenne nationale, confortant le fait que les villes se peuplent majoritairement de retraités et de jeunes célibataires en début de phase active qui y trouvent de petits logements. De toute évidence, les foyers avec enfants quittent les villes d’autant que le coût de l’immobilier y est en forte croissance.
L’observation des taux de fécondité conforte le fait que dans les années 80, les familles avec de jeunes enfants s’installaient souvent à la campagne après une naissance ; dans les années 90, elles déménagent avant même d’avoir l’enfant pour y trouver ou y construire des logements plus grands et moins chers. On dit que la France se « rurbanise », le monde rural devient urbain. Il est courant dans les plus grandes villes françaises (Toulouse, Montpellier) que les personnes qui y travaillent habitent à 30, 40, voire 50 km. On parle de quatrième, voire de cinquième couronne qu’habitent d’ailleurs les ménages les plus aisés comme les moins aisés.
Le boom de croissance démographique des 40 dernières années a par ailleurs développé une ségrégation sociale spatiale avec des communes ou quartiers pauvres et d’autres riches qui entretient la crise sociale de la France.
Révolution de l’habitat. Cette mutation urbaine est aussi manifestée par la taille des 30 millions de logements : 4 pièces en moyenne et 2.13 occupants (3.2 occupants en 1954 pour des logements bien plus petits), 57% de maisons individuelles, 57% de propriétaires et les records de construction de logements que l’on connaît ces dernières années de 350 à 400 000 logements avec croissance des maisons individuelles et décroissance des immeubles collectifs ! Le chiffre est impressionnant mais c’est la moitié du chiffre espagnol et il ne fait pas oublier la prévision annuelle de destruction de 250 000 logements. Le poste logement représente d’ailleurs le premier poste de dépense des ménages avec 30.4% en 2004.
Dans un tel mouvement d’urbanisme, on comprend que l’automobile prenne une place considérable. Les ménages français en s’éloignant de ses lieux de travail, d’étude, de commerce, de loisirs, ont de plus en plus besoin de la voiture. La rurbanisation de la France n’est pas sans poser de problèmes.
Sur les 20 dernières années, tous transports confondus, les Français se déplacent pour 50% de plus de km : la voiture et l’avion sont en croissance, trains, bus et cars sont en baisse.
Un nouvel urbanisme se construit par la rupture.
Plusieurs décisions volontaires montrent que l’étalement de l’habitat a ses limites et que l’urbanisme futur sera différent. Nous avons relevé trois décisions de rupture qui influeront sur la conception des voitures de demain :
- Densifier les zones urbaines : pour des raisons de budget, de rentabilisation des transports en commun et des services publics, etc. les villes décident de densifier leurs zones urbanisées. Rennes Métropole a constaté que la distance moyenne des constructions neuves par rapport au centre du pôle urbain est passée de 8,7 km entre 1990 et 1998 à 13,3 km entre 1999 et 2004 et comme Bordeaux veut inciter à densifier l’habitat.
- Ralentir la consommation d’espace : les Safer (Société d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural) lancent un cri d’alarme en novembre 2004 devant la consommation annuelle des hectares agricoles par milliers (1700 à 1800 ha annuels en Ile-de-France depuis plus de 20 ans) « mitant ainsi le territoire à bon prix sans véritable considération sociale, paysagère, écologique ». Le concept de « consommation d’espace » est lancé.
- Casser la ségrégation sociale : la Loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU) du 13 décembre 2000 cherche, notamment, à mieux répartir les logements sociaux. Sont concernées les municipalités de plus de 1 500 habitants en Ile-de-France et de plus de 3 500 habitants dans le reste du territoire, situées dans les agglomérations de plus de 50 000 habitants, sont tenues d'avoir 20 % de logements sociaux. Elles ont 20 ans pour atteindre cet objectif.
Urbanisme et automobile : facteurs de scénarios prospectifs.
Il est certain que des décisions volontaires sont susceptibles de modifier l’urbanisme, à terme. L’urbanisme se modèle sur des dizaines d’années. Mais jamais l’Homme n’habitera, n’apprendra, ne travaillera … au même endroit. Il y aura donc toujours des déplacements individuels. Entre les Lois et la réalité, des facteurs sont susceptibles d’intervenir construisant des scénarios associant la voiture et l’urbanisme. Voici sept facteurs de réflexion pour une projection à 10/20 ans :
- le prix de l’essence : à 1.50 € le litre, l’essence est encore inférieure de moitié au temps de travail nécessaire pour payer ce litre il y a 30 ans. Donc on peut imaginer un prix de 3 € le litre. Quel choix d’habitation à ce prix et quelle voiture ?
- le temps de déplacement : pour aller travailler, faire ses achats comme pour partir en week-end ou vacances, nous fonctionnons avec un temps acceptable de trajet. Pour preuve, il y une autorégulation du trafic qui se constate : au-delà d’un certain temps de trajet acceptable on change de moyen de transport. Chaque nature de déplacement a sa courbe isochrone. Quel choix d’habitation à ce temps de déplacement et quelle voiture ?
- la pollution : pour s’éloigner du cœur de la pollution, il faut vivre loin du centre des villes. Mais la pollution peut gagner la zone périurbaine conduisant les autorités à construire des silos à voiture près des axes de transports en commun ou taxant les voitures franchissant tel ou tel cercle autour de la ville ou limitant la circulation de telle ou telle voiture tel ou tel jour. Quel choix d’habitation à ce temps et à ce prix et quelle voiture ?
- la fin des hypermarchés : avec 10 à 15 produits par m2 contre 1 en hard-discounter, un temps d’achat de deux minutes par produit contre 30 à 45 secondes en hard-discounter et des sollicitations incessantes d’achats superflus, l’hypermarché perd de sa superbe et est voué à disparaître dans sa forme actuelle. L’achat quotidien se rapproche du domicile – ou du lieu de travail – et le centre commercial se tourne vers des visites plus exceptionnelles. Quel urbanisme commercial et quelle voiture ?
- le tout informatique : le télétravail ne trouve pas encore son véritable essor, l’appareil que nous appelons « téléphone portable » n’en est qu’au début de ses multiples fonctions, les achats par Internet ne font que commencer par des produits banaliser, … L’imagination est ici totalement libre pour ouvrir à de nouveaux comportements. Mais il ne faut pas oublier que plus la « machine » gagnera en importance, plus retrouver l’Homme sera important. Quel urbanisme, quelle voiture ?
- la stagnation de la population : autant les hypothèses vont vers une croissance de la population française, autant on peut envisage sa stagnation. Dans ce cadre, les communes, engagées sur des plans de dépenses à long terme, devront rivaliser d’imagination pour conserver et attirer la population. Comment respecter l’indépendance des individus, quels moyens de transport et quelle voiture ?
- l’appauvrissement : la croissance des BRICs (Brésil, Russie, Chine, Inde symbolisent les pays en voie de développement rapide aujourd’hui ou demain) peut induire une nouvelle répartition des richesses mondiales. Rien n’interdit de penser que dans cette hypothèse la France soit perdante. Quel urbanisme, quelle voiture ?
Bien sûr, ces 7 facteurs sont peut-être un jeu des 7 erreurs … Mais la réflexion prospective a ceci de particulier qu’elle n’a d’intérêt que si l’on accepte deux règles :
. ne pas prolonger le présent
. accepter le risque.
Philippe Cahen
Créateur-conseil en prospective, partenaire d'e-Mergences
[1] Définition INSEE. L'unité urbaine est une commune ou un ensemble de communes qui comporte sur son territoire une zone bâtie d'au moins 2 000 habitants où aucune habitation n'est séparée de la plus proche de plus de 200 mètres. En outre, chaque commune concernée possède plus de la moitié de sa population dans cette zone bâtie.
22:05 Publié dans Produits et services du futur, Prospective | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Prospective
Commentaires
Bonjour Eric et Philippe.
Juste un petit commentaire pour vous signaler que Futuribles a publié dans le numéro 311 (septembre 2005) - qui rend par ailleurs compte du livre "Fabriquer le futur" - un article intitulé "L'automobile de demain", de Véronique Lamblin et Pierre Bonnaure et un autre sur les phénomènes de congestion : "Encombrements : quelles limites ?" d'André de Palma, Serge Pahaut et Emile Quinet.
Écrit par : geoffrey | 07/12/2005
Bonjour Geoffrey,
... zut, j'ai raté le n°. Heureusement que l'on peut encore se le procurer.
Concernant les encombrements, j'ai une théorie simple : la congestion du trafic s'autorégule.
En d'autres termes, chacun accepte de passer un certain temps pour un certain trajet. Au-delà de ce temps, il prend d'autres moyens de transports.
Ainsi, par exemple, en quelques mots, le trafic routier de Paris en août est finalement supérieur aux nombres de Parisiens en vacances. Chacun sait que l'on roule mieux à Paris en août et on prend donc plus facilement sa voiture.
En septembre, surtout début septembre, le trafic est particulièrement dense ... et il rebaisse en octobre.
ma théorie simple est que c'est de l'autorégulation ...
Reste à confronter avec cet article de Futuribles !
Écrit par : Philippe Cahen | 07/12/2005
L'article sur l'automobile de Futuribles est très accessible, celui sur la congestion est plus technique. il est l'oeuvre de spécialistes des questions de congestion. Il offre un panorama des analyses économiques des encombrements (en terme d'externalités négatives, de coûts sociaux) et en effet parle de cette forme d'auto-régulation, mais qui en réalité, ne fonctionne pas très bien, car elle ne serait pleinement efficace que si l'information était parfaite. L'article creuse différents modes d'incitation et leurs effets (comme les péages urbains, ...).
Écrit par : geoffrey | 07/12/2005
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