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05/07/2006

Rencontre entre deux designers

En prélude à la parution très prochaine en français du livre du designer Gino Finizio "Design & Marketing : gérer l'idée", Kamel Ben Youssef, l'adaptateur de la version française, nous propose en exclusivité cette tribune sous forme d' entretien entre Gino Finizio et Pietro Camardella, le designer de la Ferrari.

"Recherche, interdisciplinarité et éthique : voilà les éléments qui caractérisent l’entreprise et les concepteurs du futur : des hommes et des femmes prêts à affronter l’urgence/l’émergence et à empoigner les variables d’un scénario en changement perpétuel."

 

L’excellence de l’entreprise se réalise à travers la recherche, le design, la technologie et la réorganisation du système existant : une lutte constante entre tradition et innovation pour la croissance de l’entreprise et la cohérence de la marque dans le temps. Pour atteindre des résultats concrets, l’élément humain est irremplaçable, c’est pourquoi les entreprises doivent s’appuyer sur des hommes consciencieux, préparés et avides de connaissance : des créatifs qui possèdent une capacité innée à lire les changements en cours et à anticiper – par une “vision créative” – les produits, les systèmes et les services qui intéresseront les consommateurs de demain.

Pietro Camardella est d’une certaine manière le manager-type du futur : capable d’intégrer la pensée et l’action, le design et le marketing. A la tête du secteur Automotive Design d’un centre de recherche d’excellence, grâce à sa culture multidisciplinaire, il contribue à perpétuer la mission de l’entreprise par une recherche constante, l’innovation d’entreprise, le design, le processus et le produit.

Le produit se réalise là où l’entreprise a la capacité de saisir les opportunités offertes par  le design : l’originalité et le renouvellement des idées représentent la clef du succès pour l’entreprise, mais le manque d’organisation et de vision stratégique constituent certainement une limite à la croissance. C’est précisément pour conjuguer ces deux aspects de façon optimale qu’a été confié à Pietro Camardella le rôle de Responsable du Centre Design du Centro Ricerche Fiat d’Orbassano (à proximité de Turin), un endroit où l’entreprise italienne par excellence se confronte quotidiennement avec la nécessité de créer l’innovation. Pietro Camardella est non seulement un designer de talent, mais aussi, grâce à l’expérience dont il s’est enrichi au fil des ans, un guide précieux pour des équipes de conception devant affronter le thème complexe de la mobilité. Il est chargé de la gestion des choix conceptuels, mis en oeuvre de concert avec les designers et les techniciens du Centre, afin d’appliquer les efforts créatifs dans une direction économiquement possible, tout en préservant la valeur du concept de projet auprès de tous les acteurs qui définissent le produit ; en effet, c’est du concept de projet que découlent l’unicité et la raison d’être du produit lui-même. Le progrès technologique, dont le CRF est un creuset très actif, voit enfin dans le design un instrument indispensable pour rendre compréhensible et accessible son langage au marché. Le design et les designers jouent donc un rôle extrêmement important pour encourager l’innovation, notamment dans le secteur automobile, secteur qui connaît actuellement une période de transformation intense, en quête de nouvelles typologies de transport plus sûres pour l’homme et l’environnement. 

Qu’est-ce qui vous a amené à prendre la tête du Centro Design de l’un des plus importants centres de Recherche & Développement européens ?

Camardella : C’est ma curiosité à l’égard de tous les domaines, même les plus difficiles pour mon esprit, et ma conscience critique qui a fait que je ne me suis jamais contenté de ce que je faisais, qui m’a poussé à m’améliorer et à me renouveler constamment. Je n’éprouve aucun plaisir à répéter toujours la même formule, même si elle a eu du succès. Il est clair que j’arrive à m’exprimer davantage dans les projets où les marges de proposition sont supérieures, et c’est le cas des concepts. Pour les projets de production, j’essaie de faire le maximum du moins dans la phase initiale de recherche, où je propose toujours une solution alternative, plus détachée du briefing : parfois l’opération réussit et le client perçoit les potentialités de l’idée et mise dessus ; d’habitude les quelques aspects intéressants prévus dans la définition se réduisent aussi, par crainte de trop “oser” au regard des investissements.

Au sein d’un scénario en évolution perpétuelle tel que le scénario actuel, quelles sont les règles permettant d’innover et de différencier le produit ?

Il n’existe qu’une seule règle : ne jamais canaliser le flux créatif dans un processus mécanique répétitif. Des myriades de produits qui ratent leur objectif de vente continuent à le prouver quotidiennement, mais le marketing a intérêt à souligner de manière pressante les quelques exemples de produit, qui ont réussi par hasard.

« L’innovation fait partie de ce merveilleux processus de la création, qui consiste à atteindre un point, tu ne sais pas lequel, tu ne sais pas pourquoi, mais comme par magie, tu sais que c’est le bon »

Le design est donc une expression artistique ?

Etre un bon designer signifie approcher dans une optique novatrice le projet, en ne se basant pas uniquement sur le talent. Je crois fermement que, tout en étant une expression créative, le design n’est pas un art. Le design est la forme de la technologie, l’art est la forme de l’esprit.

Quel rapport y a-t-il entre architecture et mobilité ?

Il faut dire avant tout que l’esthétique des machines, notamment des voitures, a eu un impact immense sur le processus de formation du design, et avec ses suggestions dynamiques et futuristes, il a fortement conditionné l’aspect de nombreux objets d’emploi quotidien.

Par contre, en raison de la crise du marché, l’automobile n’a que récemment commencé à pencher sur les thèmes d’habitabilité et d’impact environnemental. La présence envahissante des automobiles a par ailleurs radicalement modifié le développement architectural des centres urbains, sans jamais parvenir à s’intégrer complètement avec ceux-ci.

Quels seront les matériaux de l’automobile du futur ?

J’adore le plastique et la propreté formelle qu’il autorise, je crois que les potentialités expressivo-formelles de ce matériau n’ont pas encore été toutes exploitées. Bien au contraire, on assiste à une régression par rapport aux décennies passées : désormais, la plupart du temps, il est destiné à remplacer d’autres matériaux et sa qualité superficielle est trop souvent niée : la peinture, la soft touch, le film et le reste continuent à l’envisager comme un ersatz du métal et d’autre matériaux jusqu’aux applications les plus kitsch, qui dénaturent son essence. En revanche, dans le domaine technologique, les techno-polymères sont en train de s’affirmer radicalement et je crois qu’ils auront de plus en plus d’espace à l’intérieur des automobiles.

Vous avez collaboré à la réalisation de nombreuses automobiles dont les Ferrari F40, F50, 456GT : qu’est-ce qu’une auto de sport ?

Pour le car designer, c’est l’aspect le plus émotionnel du “métier”. Récemment je me suis à nouveau mesuré avec le thème de la voiture de sport, en coordonnant la réalisation du concept expérimental “Sportiva Latina”, qui a remporté le prix spécial pour l’innovation de l’association technique de l’auto espagnole au Salon de l’Auto de Barcelone 2005.

Quand nous avons décidé de participer au concours organisé par la STA, les contenus et la concurrence entre Italiens et Espagnols m’ont suggéré la formule et le nom “Sportiva Latina”. Cela a été un labeur intense “habiller la technologie” et trouver la solution qui harmonisait la division entre l’habitacle et la plate-forme en en faisant un motif caractéristique au niveau esthétique, vu qu’on avait opté pour un châssis “split frame” : au lieu de dissimuler la division, celle-ci constituait le fil conducteur de la composition.

L’habitacle du concept, qui est maintenant exposé au du Musée de l’automobile de Turin, incorpore le compartiment bagages, en prenant la forme d’une comète enroulée dans son flux, représenté par la plate-forme constituée du châssis-moteur.

Le choix au niveau composition a entraîné une articulation de volumes qui caractérise le dessin sans inutiles graphismes bidimensionnels, décors et clinquants superflus, typiques du langage “stylistique”. Les éléments d’éclairage et d’interface télématique (led, capteurs, radars) sont regroupés dans un seul élément « en forme de ruban », qui entoure la voiture, plongeant et émergeant de la carrosserie là où c’est nécessaire, en reliant idéalement habitacle et plate-forme. L’architecture d’intérieurs est caractérisée par l’adoption du drive by wire et par les exigences de déplacement du groupe de direction, pour permettre le positionnement de direction « œil centre ». Ces éléments m’ont suggéré de récupérer de manière plus achevée le concept de spatialité, exprimé la première fois avec les concept Lancia “Dialogos” et “Nea”, en éliminant le tableau pour faire place à un groupe de direction suspendu à un élément HI TECH central, qui évoque davantage un ordinateur domestique qu’une console automobile. J’aime définir ce processus de composition ainsi : la résultante est déterminée par les “composants du tout qui donnent forme au tout”. Certes le résultat global est à contre-courant à une époque à la tendance “néo-classique”, mais avec Sportiva Latina on a voulu rappeler avec cohérence la grande tradition de la “granturismo italiana”, tout en adoptant uniquement sa typologie architecturale, sans proposer tels quels les éléments du passé. Un passé qui, on l’oublie souvent, était caractérisé par de grands ferments d’innovation, qui ont permis de consolider ses résultats et de les élever au rang de “classiques”, alors qu’à leurs débuts, il s’agissait de voitures modernes et innovatrices.

Cette rencontre avec Pietro Camardella souligne encore plus un phénomène : le design est un facteur stratégique de l’entreprise et est présent de façon éclatante dans toutes les entreprises excellentes, de la recherche au projet de forme, matériaux, processus, représentation et diffusion du produit.

Si l’idée initiale est authentique, vraie, nouvelle, elle est en mesure de gagner du terrain. L’idée est réellement innovatrice quand elle fournit un avantage concurrentiel influençant le marché et les consommateurs, Si l’idée initiale se lit dans le produit fini, elle devient typique et est facilement repérable, c’est un nouveau genre qui donne une identité au produit et à l’entreprise. C’est le design qui fait la différence et c’est le designer qui la détermine.

 

Voir la chronique illustrée avec la présentation du livre : Rencontre_Pietro_Camardella_-_GF.4.pdf

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