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01/07/2004

"Question de confiance" par Louis Tuvée

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L’innovation, tout le monde en parle : des politiques nationaux ou internationaux aux dirigeants d’entreprise. Nombre d’acteurs la valorisent et la recommandent. Cependant, si l’on souhaite dépasser l’aspect incantatoire et messianique de nombreux appels à l’innovation, il me paraît important d’en connaître et d’en reconnaître non seulement les vertus mais aussi les valeurs qui la sous-tendent et les obligations qui en découlent.

De nombreux concepts – de la planification stratégique aux démarches qualité- ont souvent achoppé sur les mêmes obstacles humains, les transformant rapidement en quelque sorte en "intermittents" du spectacle managérial.

L’innovation est sans conteste sinon la voie, l’une des voies principales du développement économique et du progrès social et cela, aussi bien pour les pays développés comme avantage concurrentiel et moyen de stopper ou de limiter l’hémorragie des délocalisations,que pour les pays en développement pour leur permettre de rattraper tout ou partie de leur retard sans passer par toutes les étapes – et toutes les errances- de l’histoire économique des premiers.

L’innovation est risquée dans les deux dimensions du changement : les aléas du parcours dans un environnement turbulent et l’incertitude du point d’arrivée.

Certes, de nombreuses directions réclament plus ou moins implicitement à leurs collaborateurs "des nouveaux produits qui aient fait leurs preuves" mais en l’état actuel de mes connaissances … les recherches continuent.

Toute entreprise est prise de risque : c’est dans son étymologie et sa pratique. "L’aventure sans risque" est une utopie dans le sens négatif de ce terme.

Certes, le risque doit être évalué et dans toute la mesure du possible, et du raisonnable maîtrisé, mais il doit être pris ! Le "risk-assesment" a fait des progrès notables, parfois même l’Assurance et la Ré-Assurance couvrent les risques. La prospective intervient comme réductrice d’incertitude. Mais le risque et, au premier chef, le risque d’innovation, demeure proportionnel à la nouveauté de la proposition sous forme de produits, de services, d’accès ou plus globalement d’idées.

Pour vaincre les "murs" de l’indifférence et de la résistance – à l’externe mais d’abord à l’interne- la seule énergie est la ressource humaine et plus précisément la confiance.

- Confiance dans la culture d’entreprise et les compétences des collaborateurs
- Confiance dans la délégation et l’apprentissage par l’erreur
- Confiance entre les partenaires de l’équipe projet et confiance réciproque entre les experts "nés de mars" : ingénieurs, techniciens des bureaux d’études et de la R&D et ceux "nés de vénus" : marketeurs et designers
- Confiance dans l’éclairage des scénario
- Confiance dans "l’irrationnel" : imagination, intuition, émotion
- Confiance dans la phase divergente de la créativité
- Confiance dans la capacité de la phase convergente à aboutir à des solutions.
- Confiance dans les deux cerveaux et en quelque sorte, confiance réciproque entre les deux cerveaux au niveau individuel et au niveau collectif


Avant tout, confiance en soi tempérée bien entendu par la dose nécessaire d’humilité, d’écoute et de partage.
Et tout simplement, confiance en l’avenir.

Pour toutes ces raisons, promouvoir l’innovation est louable, valoriser la créativité est souhaitable, souligner l’importance de l’anticipation est raisonnable mais si l’on souhaite dépasser là aussi le stade (et l’efficacité) de "l’ardente obligation", toute démarche et projet d’innovation me paraissent devoir être précédés et préparés, au-delà du problème posé par une réflexion approfondie et un travail méthodique, sur la problématique même de l’innovation avec le risque comme question et la confiance comme réponse.

L’audit sur "l’état de la confiance" et la culture du risque permettra de délimiter le "champ des possibles"et d’ajuster dans un premier temps les ambitions et l’action à ce cadre pour élargir et renforcer ensuite le potentiel réel culturel et méthodologique d’innovation.

Si la confiance ne s’enseigne pas mais "se voit et se vit", on peut néanmoins en souligner l’importance et en faciliter le développement.

Dans cet ordre d’idée, espérons aussi que l’enseignement supérieur (sciences "dures" et sciences "molles" réunies) et la formation continue (technique ou commerciale), sauront faire une petite place à ce grand sujet.

La même année, en 1995, (il faut souvent voir dans le synchronisme, un signal faible) sortaient deux ouvrages importants sur le sujet :
La société de confiance d’Alain Peyrefitte
Trust de Francis Fukuyama

Différents, complémentaires opposés parfois, les deux auteurs convergeaient vers la même conclusion générale : la confiance enracinée dans la culture est l’origine et le levier principal du développement des nations et des civilisations.

Individualisme, fracture sociale et générationnelle, judiciarisation de la société, "lutte des classes" remplacée par "lutte des places", mondialisation, réduction d’effectifs, délocalisations : ce "bruit de fond" économique et sociologique de la décade écoulée a bien obscurci voire occulté le message.

Plus grave encore peut-être pour la vitalité de la confiance : la dissonance entre le discours et les actes, parfois même le "masque" de certains concepts managériaux ont développé déception et méfiance.

L’innovation est en fait une suite de questions-réponses : marché/offre, besoins/fonctions, fonctions/solutions technologiques, facilités d’usage/ergonomie physique et cognitive, émotion et séduction/design sensoriel.
Mais la question fondamentale qu’elle pose demeure à mes yeux la confiance.

"L’innovation se nourrit de confiance", dit-on,… alors bon appétit !

Louis Tuvée est consultant, auteur de "Changement des les organisations – Que Sais-je n°3114 – PUF" et de "La culture du risque" (chapitre 9 in Comprendre et gérer les risques – coordination Franck Moreau – AFPLANE – Editions des Organisations)

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