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01/10/2004

"Polyglotte ou volapük ?" par Jean-Pierre Quentin

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Une condition de l'innovation : l'ouverture interculturelle. Comment l'aborder ?

L'interculturel, ce n'est pas simplement l'international. On le rencontre au quotidien et il prolifère, dans un univers différencié où tout est rencontres, transactions, brassages. Le polyglotte s'adapte aux langages de ses interlocuteurs ; à l'opposé, beaucoup parlent volapük - langage simplifié mais unique, en principe commun. Un équilibre est à trouver entre ces approches extrêmes.

Melting-pot multilingue, bébés Maginot ou bouillie espéranto ?

Quelques polyglottes sont à l'aise sous les lambris d'un ministère, face à la télévision, dans une cour de ferme, au cœur d'une négociation multilatérale, en tête d'une manifestation, dans un bras de fer en anglais texan, voire dans une cellule de prison... mais n'est pas José Bové qui veut !

D'autres, plus nombreux - avec quelle efficacité ? - préfèrent le langage unique, qui à l'extrême se résume en "je me comprends, donc ils me comprennent". Ensuite les choses sont déroutantes, incompréhensibles, imprévisibles, donc on stresse. On pourrait chercher à comprendre, mais le réflexe est plutôt d'accuser les autres, l'époque ou la fatalité. Traduction : se protéger, se replier, se fermer. Face à "une majorité d'étrangers", il faudrait organiser un faisceau de relations à base d'ouverture, d'écoute, d'échange, de partage, de productions communes. Mais il est plus "naturel" d'édifier quelques Lignes Maginot. Rappelons que face aux panzers, la méthode Maginot a été encore moins efficace que la méthode Ogino face aux spermatozoïdes !

Quand la peur du différent l'emporte sur l'attrait du complémentaire, "qui se ressemble s'assemble". Pourtant, ceux qui ont connecté divers appareils savent que ça marche plutôt mieux en reliant mâle et femelle qu'en essayant d'assembler entre elles des fiches identiques : indépendamment de toute considération éthique ou esthétique, l'association d'éléments complémentaires apparaît plus fructueuse. Sinon, on devra reproduire l'espèce par clonage... en renonçant à l'améliorer. Il en va de même dans l'univers économique et social.

Un autre langage unique réduit tout aux aspects les plus simples ou visibles. Comme l'espéranto, le langage est abrégé à l'extrême pour que tous se comprennent sur quelques notions élémentaires. Malheureusement, c'est justement sur les aspects plus complexes qu'on a besoin d'échanger ! Donc d'écouter, de proposer, de composer... Forme la plus courante de cette bouillie de cultures : "on s'en tient aux faits", on se polarise sur les aspects techniques qui, eux, n'ont pas d'états d'âme ! Puis on s'étonne que les autres ne comprennent rien et ne nous suivent pas...

Chocs de cultures

Il faut donc non seulement faire preuve d'empathie, se projeter dans la peau des interlocuteurs, mais le faire en changeant de culture ou de logique de référence. A Bruxelles, un Grec doit "penser comme un Danois" et réciproquement. Tout lobbyiste raisonne en référence aux diverses logiques techniques, managériales ou politiques de nombreuses parties prenantes. Autres chocs de cultures : le directeur d'usine face à un élu, le financier face à un militant associatif, le commercial face à un technicien, le macho face à une femme, etc.

L'interculturalité suppose aussi l'ouverture à de nouveaux repères conceptuels. Aborder une relation partenariale (co-traitance...) avec les repères de la relation contractuelle (sous-traitance...) conduit sûrement à l'échec.

Plus profondément encore, plus désastreux aussi, le refus du principe même de l'interculturalité. En Afrique, en Palestine, en Europe centrale, où des peuples cohabitent difficilement, on choisit la facilité en leur attribuant des territoires étanches, alors que leur problème est d'apprendre à vivre ensemble : on a besoin d'un décloisonnement des mentalités et on complique tout en cloisonnant des territoires !

Qui n'a jamais refusé d'écouter des collaborateurs ou partenaires, simplement parce qu'ils étaient culturellement dissidents ou dérangeants... alors qu'ils apportaient probablement du sang neuf ?

Décloisonnez-vous !

A l'heure de la gouvernance, le défi est clair : il faut se décloisonner et trouver le subtil équilibre entre un multilinguisme inaccessible et un espéranto réducteur. Défi avant tout culturel, s'agissant de cultiver un état d'esprit ; le reste est affaire de méthode.

Cette méthode recherche en permanence l'ouverture sur trois dimensions. Dimension "objective" : élever son niveau d’autonomie et de rigueur, pour mieux interagir avec un environnement complexe et mouvant. Dimension "subjective" : élever son niveau de curiosité et de créativité (le cerveau droit), pour oser aller au différent, expérimenter, innover… Dimension "relationnelle" : élever son niveau de responsabilité et de solidarité, pour mieux travailler avec d'autres, en interne (groupe) et en externe (partenariat).

A. Maslow a étudié des Spinoza, Lincoln, Einstein, Eleanor Roosevelt et autres personnalités ayant fait un usage exceptionnel de leur potentiel. Traits communs : capables de tolérer l'incertitude, spontanés en matière de pensée et d'initiative, centrés sur le problème plutôt que sur leur intérêt personnel, ils résistent à l'endoctrinement sans être "anticonformistes par principe", ils établissent des relations satisfaisantes avec peu de gens plutôt que superficielles avec beaucoup, ils gardent un point de vue objectif, ils sont préoccupés par le bien-être de l'humanité, ils comprennent en profondeur les multiples expériences de la vie, ils ont un bon sens de l'humour...

Jean-Pierre Quentin est consultant, professeur et auteur. Intervenant dans des situations complexes, dans des contextes de changement, il aide à décloisonner les relations et à imaginer le futur.

Les thèmes de cette chronique sont développés dans un article plus complet : "Multilinguisme ou espéranto ?"