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01/11/2004

"La prospective comme outil d’apprentissage ?" par Brigitte Thieck

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La prospective : un questionnement rendu nécessaire ou une résurgence opportune ?
Mais d’où vient la prospective ?

Le terme de prospective vient de prospicere, verbe latin qui signifie, regarder au loin ou regarder de loin, discerner quelque chose devant soi. Employé au XVI siècle ; il a été réintroduit par Gaston BERGER en 1957.
La prospective consiste à « voir large, loin et profond … mais aussi autrement et ensemble », Gaston BERGER (1964). En se positionnant sur un horizon de long terme, la prospective vient enrichir et compléter la vision stratégique qui intervient à court et moyen terme et sur un environnement plus restreint.

La prospective qu’est ce que c’est ?
C’est un mode de questionnement rigoureux du futur qui a un double objectif :
- Réduire l’incertitude (tout en n’apportant aucune certitude…) et permettre à celui qui s’y prête de devenir ainsi « pro-actif » de son avenir (agir dans le sens du futur désiré). Mais il s’agit avant tout un état d’esprit, un état de veille permanent, un regard sur la vie et sur le monde. Pierre MASSE parle de « anti-hasard », Hugues de JOUVENEL d’un «combat pour l’anti-fatalité». Pour Michel GODET, c’est « une philosophie de l’action qui utilise le désir comme force productrice d’avenir et permet de regarder le présent à la lumière des futurs possibles ». L’anticipation de la prospective va permettre d’éclairer les différents choix et d’opter pour ceux qui vont nous permettre d’atteindre les objectifs que l’on s’est fixés. C’est donc en changeant la vision que l’on a de l’avenir que l’on influe sur l’action présente.

La prospective pour quoi faire ?
La prospective peut être utilisée de différentes manières :
- Comme outil d’aide à la décision, quand l’avenir d’une entreprise, d’une organisation anticipe ou subit une crise structurelle profonde et/ou que son avenir parait particulièrement incertain. Comme le souligne MARTINET (1983), « Dès lors que l’Environnement et le temps sont considérés comme des variables, les scénarios de la prospective viennent nécessairement s’intégrer dans la réflexion stratégique de l’entreprise ».
- Comme outil d’aide à l’innovation pour le développement de produits ou services nouveaux afin d’acquérir, d’accroître ou de garder une longueur d’avance sur ses concurrents.
- Comme outil d’apprentissage individuel et collectif au service des entreprises et des organisations.
Cet usage, moins connu et moins répandu que les précédents commence à investir le champ de la recherche appliquée en prospective.
Faire de la prospective n’est pas un exercice anodin ou ordinaire. Cette expérience à la fois individuelle et collective va directement impacter la représentation du système étudié (ce système peut être par exemple une entreprise dans un secteur d’activité faisant lui-même partie d’un contexte socio-économique plus global : la France, l’Europe ou le reste du Monde...). Ce système va être analysé de manière dynamique. L’analyse rétrospective de son passé va nous indiquer les tendances lourdes, les inerties, les ruptures ; l’analyse des tendances actuelles du présent va nous renseigner sur les germes de changements (peu significatifs aujourd’hui mais porteurs de changements considérables demain), les inflexions ou les poursuites des tendances, les zones d’incertitude majeure …L’ensemble de cet enseignement va nous permettre de définir des hypothèses alternatives pour le futur à l’horizon étudié.
C’est en ce sens que la prospective appliquée peut contribuer à façonner, voire influer sur les schémas de pensées qu’un groupe d’individus peut se faire d’une organisation et de ses objectifs.
On peut alors aller jusqu’à parler « d’entreprises ou d’organisations apprenantes », et on est alors tenté de parler de ce concept si souvent utilisé « d’apprentissage organisationnel ».Celui-ci vient s’appuyer sur celui de « Gestion des connaissances » (Knowledge Management, …).

Se pose alors la question de savoir si l’on peut orienter volontairement des exercices de prospective afin que l’ensemble des participants changent leurs schémas cognitifs vers des représentations plus conformes aux exigences de l’entreprise en terme de performance globale ou spécifique ?
Mais avant tout cela, nous allons essayer de comprendre par quels mécanismes les exercices de prospective participative influent sur les modes de représentation des participants et nous verrons que ces moyens, ces astuces de management de groupe ont été empruntés par les « prospecteurs » à d’autres outils déjà existants.
L’art du prospectiviste va surtout consister dans un premier temps à rendre agréable et jovial un exercice délicat et peu facile de remise en cause individuel et collectif des « à priori », des idées reçues, des conformismes de pensées dont nous souffrons tous et qui trouvent leurs origines dans notre passé directement impacté par notre expérience de la vie (éducation, milieu socioculturel, expérience professionnel, évènements personnels, …). Cet exercice de remise en cause d’abord individuel puis collectif est le préalable indispensable à la définition d’un langage commun, l’éclairage sur ce qui peut advenir et la construction consensuelle d’un avenir.
Afin de structurer et de hiérarchiser une vision commune, l’animateur va alterner différents outils de management d’équipe (réflexion individuelle suivie de prises de parole, système d’agrégation des données et de hiérarchisation par des votes, entretiens semi directifs, …). La fréquence avec laquelle il va utiliser ces séquences individuelles et collectives, va définir le rythme et la qualité du processus d’apprentissage du cercle de prospective.
C’est tout au long de ces alternances, perçues comme des expériences nouvelles par les participants, que se produit dans la tête de ceux qui y participent et de manière inconsciente au début, les chocs à la fois « frontaux et durables » qui impactent leurs schémas cognitifs. Les échanges sociaux qui ont lieu et les liens qui en découlent constituent le ciment de la cohésion du groupe). Ces changements de représentation peuvent être évalués ou mesurés de manière qualitative, inductive et longitudinale par le remplissage de questionnaires ou la réalisation de cartes cognitives à différentes étapes du processus.
« La diversité des grilles de lecture proposées par la prospective, tant en termes de scénarios que d’options stratégiques, ainsi que les remises en cause qu’elles suscitent, posent le problème des luttes de pouvoir qu’elles peuvent révéler et des résistances qu’elles peuvent susciter » (LEBAN, 1992).
La structure du cercle de prospective (basé de préférence sur le volontariat) et ses propriétés globales vont directement impacter sur les comportements individuels (processus d’exteriorisation), les intéractions (directes et indirectes) et les réseaux d’influence à l’intérieur du groupe.Elle va aussi agir sur la légitimité des contributions individuelles, le statut et la fiabilité de la source d’influence, la nature et le traitement des conflits et la construction de la ou des visions convergentes.
« Dans le cadre d'un exercice de prospective, il ne s'agit cependant pas seulement d'expliciter les cartes cognitives des décideurs mais de construire des représentations collectives " (Fabrice ROUBELAT). Il est donc indispensable ne pas limiter les membres de l’atelier de prospective aux membres du comité de direction et d’insister sur l’importance d’un regard extérieur neuf dans l’animation et la construction des ateliers. Cela contribue également à la créativité, à l'enrichissement réciproque à limiter l ‘introduction de biais grâce aux échanges de points de vue et d'expériences différentes.
Les expériences déjà réalisées en entreprises sont aujourd’hui suffisamment nombreuses et riches d’enseignement pour pouvoir se livrer à des exercices rétro-prospectifs qui nous renseignent sur la manière dont ces changements cognitifs ont impacté dans le temps à la fois les dirigeants qui s’y sont prêtés et les organisations à travers la traduction des décisions en pratiques de gestion quotidiennes.

Brigitte THIECK est Ingénieur Conseil pour l’entreprise ECOETHIC spécialisée dans la réalisation d’études prospectives et stratégiques pour les entreprises et les coopératives agricoles. Egalement Chercheur au C.N.A.M à la Chaire de prospective industrielle, elle travaille sur l’apport des outils de la Prospective appliqués à l’appropriation des contraintes émergentes par les cadres dirigeants.