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10/02/2005

Neurobiologie des valeurs humaines

Douze scientifiques de grande renommée ont pris part à un débat sur l'influence des processus neurophysiologiques sur des dimensions de la vie humaine concernant l'éthique et l'esthétique, sur les émotions comme la compassion et la honte, ou encore sur les capacités de raisonnement mathématique et la capacité de se prononcer sur sa justesse. Récemment encore, ces questions étaient considérées comme trop complexes pour faire l'objet d'études scientifiques et elles ne relevaient donc que de la seule philosophie. Grâce aux progrès accomplis par les techniques d'analyse de l'activité neurale, et notamment l'imagerie du cerveau humain, elles suscitent à présent beaucoup plus d'intérêt. Les résultats obtenus grâce à ces nouvelles méthodes et les perspectives qu'offrent les études évolutionnistes et les sciences cognitives font progresser notre connaissance d'aspects de l'expression humaine aussi divers que le comportement en société, l'empathie et la créativité — qui concrétisent les valeurs humaines que sont la beauté, la bonté et la vérité. Ce colloque a été l'occasion de mesurer les progrès accomplis dans ce domaine émergent et de cerner les questions qui méritent d'être approfondies dans les années à venir. Cette rencontre a été organisée le 24 janvier dernier par Jean-Pierre Changeux (Institut Pasteur et Collège de France, Paris), Wolf Singer (Max Planck Institute for Brain Research, Francfort), Antonio Damasio (University of Iowa, Iowa City) et Yves Christen (Fondation Ipsen, Paris).

La majorité des études menées au cours du siècle dernier en matière de psychologie et de neuroscience systémique étaient centrées sur les aspects cognitifs du comportement, car l'étude des émotions était considérée comme trop subjective et impossible à quantifier. Cependant, à l'évidence, un grand nombre des attributs les plus développés chez l'être humain, notamment les qualités morales et esthétiques, sont fondés sur des décisions résultant d'un équilibre entre les informations cognitives relatives à notre environnement et nos propres réactions émotionnelles internes (que l'on pourrait traduire par " Que sais-je à ce sujet et quel sentiment est-ce que cela m'inspire ? "). Par conséquent, si notre connaissance des fondements biologiques de ces systèmes de valeur progresse, nous devons accorder une attention équivalente à l'influence des émotions. La nécessité d'analyser les réactions émotionnelles a progressivement été reconnue et des études sur le rôle des émotions sont aujourd'hui en cours dans de nombreux endroits (Changeux ; Frans de Waal, Emory University, Atlanta ; Antonio Damasio ; Richard Davidson, University of Wisconsin, Madison ; Hanna Damasio, University of Iowa, Iowa City ; Joshua Greene, Princeton University, Princeton ; Giacomo Rizzolatti, Università di Parma, Parme ; Daniel Kahneman, Princeton University, Princeton ; Olivier Houdé, Centre Cyceron, Caen). D'un point de vue neurobiologique, l'étude des émotions a bénéficié des progrès croissants de notre connaissance du mécanisme de convergence des informations cognitives et émotionnelles dans les lobes préfrontaux du cortex cérébral, qui jouent un rôle majeur dans la prise de décisions (Camilo Cela-Conde, University of Balearic Islands, Mayorque ; Antonio Damasio ; Davidson ; Hanna Damasio ; Greene ; Rizzolatti). En s'appuyant sur les cas de patients présentant des lésions cérébrales, sur l'imagerie du cerveau ainsi que sur l'enregistrement de l'activité neuronale du singe, les scientifiques expliqueront comment les circuits neuraux incluant les lobes préfrontaux participent à la perception de la beauté (Changeux ; Cela-Conde), à l'éthique (Cela-Conde ; Antonio Damasio), à l'empathie (Rizzolatti), au comportement social (Hanna Damasio) et au jugement moral (Greene). La plasticité de ces circuits constitue vraisemblablement la base de la variabilité des réactions émotionnelles d'un individu à l'autre et de notre faculté à adapter nos réactions en fonction de notre propre expérience (Davidson). Les perspectives sont d'autant plus larges que nous disposons de données toujours plus détaillées sur le comportement d'espèces de primates très proches de l'être humain. Ainsi, on observe aujourd'hui chez les anthropoïdes et les singes, des valeurs longtemps considérées comme étant l'apanage de l'homme, parmi lesquelles l'équité, l'empathie et la réciprocité (Cela-Conde ; de Waal ; Rizzolatti). Ces découvertes permettent non seulement de cerner l'origine du développement de ces traits et le mécanisme de cette évolution, mais aussi d'effectuer des études expérimentales, portant notamment sur la fonction des neurones miroir dans le cortex du singe et sur leur rôle dans l'empathie (Rizzolatti). Même les facultés de déduction, comme l'esprit mathématique, se sont probablement développées à partir de la représentation dans le cerveau de nombreuses espèces animales des notions d'espace, de temps et de nombre (Stanislas Dehaene ; Inserm unité 562, Orsay). On étudie également l'évolution de la notion de nombre chez des populations indigènes ne possédant aucun vocabulaire pour compter. Le concept de beauté et la capacité à créer des images semblent découler de la synthèse de l'histoire évolutionniste et culturelle, de la perception, de la mémoire et de la résonance émotionnelle, qui pourraient constituer un modèle pour l'étude du développement de l'ensemble des valeurs humaines (Changeux). Il est désormais possible d'établir un lien entre le raisonnement logique, généralement considéré comme la forme d'adaptation biologique la plus complexe, et les études portant sur l'imagerie du cerveau, qui soulèvent des questions essentielles sur l'influence des émotions et sur le rôle des erreurs dans le raisonnement (Houdé). Les réseaux cérébraux qui sous-tendent l'ensemble de ces attributs humains très développés ne pourraient fonctionner sans la capacité de distinguer les états transitoires des états logiques, qui nécessite probablement des moyens d'évaluer la réalisation d'un état transitoire et de maintenir l'état logique (Singer).

Voir aussi l'article du Monde du 2 février 205

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